Page:Maistre - Du pape suivi de l'Église gallicane, Goemaere, 1852.djvu/136

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géomètre, je m’en tiens sur ce point à l’autorité d’un homme infiniment supérieur à Pascal par l’étonnante diversité et la profondeur de ses connaissances.

« Pascal, dit-il, trouva quelques vérités profondes et extraordinaires en ce temps-là sur la cycloïde… il les proposa par manière de problèmes : mais M. Wallis, en Angleterre, le P. Lallouère, en France, et encore d’autres, trouvèrent le moyen de les résoudre[1]. »

Ce témoignage de Leibnitz prouve d’abord qu’il faut bien se garder d’ajouter foi à ce qui est dit dans ce discours (pag. xcvij et suiv.) contre le livre du P. Lallouère, dont l’auteur parle avec un extrême mépris, « Ce jésuite, dit-il, avait de la réputation dans les mathématiques, surtout parmi ses confrères, » (pag. xcviij). Mais Leibnitz n’était pas jésuite, ni Montucla, je pense ; et ce dernier avoue cependant dans son Histoire des mathématiques, « que le livre du P. Lallouère donnait la solution de tous les problèmes proposés par Pascal, et qu’il contenait une profonde et savante géométrie[2]. »

  1. Ce grand homme ajoute, avec cette conscience de lui-même que personne ne sera tenté de prendre pour de l’orgueil : « J’oserai dire que mes méditations sont le fruit d’une application bien plus grande et bien plus longue que celle que M. Pascal avait donnée aux matières relevées de la théologie ; outre qu’il n’avait pas étudié l’histoire ni la jurisprudence avec autant de soin que je l’ai fait ; et cependant l’une et l’autre sont requises pour établir certaines vérités de la religion chrétienne. » (La jurisprudence s’appliquait dans son esprit à la question examinée dans toute sa latitude ; De l’empire du Souverain Pontife.) « … Si Dieu me donne encore pour quelque temps de la santé et de la vie, j’espère qu’il me donnera aussi assez de loisir et de liberté pour m’acquitter de mes vœux faits il y a plus de trente ans. » (Esprit de Leibnitz in-8o tom. I, pag. 224.)
  2. Montucla (Hist. des mathém. in-4o, 1798 et 1799, tom. II, pag. 77) ajoute à la vérité : « Mais ce livre (du P. Lallouère) ayant été publié en 1660, qui nous assure qu’il ne s’aida point alors de l’ouvrage de Pascal publié dès le commencement de 1659 ? » (Hist. des mathém. in-4o ann. VII, 1798 et 1799, pag. 63.) — Qui nous assure ? — Le raisonnement et les faits. Le livre du jésuite fut publié en 1660, ce qui signifie dans le courant de l’année 1660 (mars peut-être ou avril). Celui de Pascal fut publié dès le commencement de 1659 (en janvier ou février même peut-être). Quel espace de temps laisse-t-on donc au jésuite pour composer, pour imprimer un in-quarto sur les mathématiques alors sublimes ? pour faire graver les figures assez compliquées qui se rapportent à la théorie de la cycloïde ?

    Les faits fortifient ce raisonnement ; car, si le jésuite avait pu profiter de l’ouvrage de Pascal, comment celui-ci ou ses amis d’alors ne le lui auraient ils pas reproché ? comment ses amis d’aujourd’hui ne nous citeraient-ils pas ces textes ? Enfin, pour qu’il ne manque rien à la démonstration, il suffit de réfléchir sur l’aveu exprès et décisif que le livre du P. Lallouère contenait une profonde et savante géométrie. C’était donc bien une géométrie particulière à l’auteur, et tout à lui de la manière la plus exclusive ; car si elle avait touché celle de Pascal, et si elle s’en était seulement approchée, cent mille bouches eussent crié au voleur !