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Ses amis de la Pintade lui font escorte jusqu’à la gare du chemin de fer, tandis qu’un portefaix haletant chancelle sous le poids de l’énorme coffre de M. Pichon. M. Pichon fait marcher cet homme devant lui pour plus de sûreté. Il est peu probable cependant que le malheureux portefaix puisse prendre clandestinement la fuite sous le fardeau qui l’accable ; mais M. Pichon est prudent et pense que deux sûretés valent mieux qu’une.

Voulant frapper sa famille d’admiration et de respect, M. Pichon s’est commandé un costume de drap noir. Sa redingote le gêne aux entournures ; mais le tailleur lui a affirmé sérieusement que a ça se ferait en un rien de temps ». La susdite redingote a dans le dos deux énormes boutons si rapprochés qu’on les prendrait pour deux yeux qui louchent. Dans tous les cas ce phénomène ne peut susciter aucune critique de la part des gamins tourangeaux, car M. Pichon, pour préserver sa redingote pendant la route, a revêtu par-dessus une blouse bleue ornée de broderies blanches au col, aux épaules et aux poignets.

Quoiqu’il fasse le plus beau temps du monde, et qu’il n’y ait pas un atome de boue dans les rues, M. Pichon a retroussé son pantalon noir, de douze centimètres au moins, sous prétexte qu’il est un peu trop long. Les jambes sont réellement trop longues, mais le tailleur a affirmé sur son honneur que « ça se raccourcirait » quand il se formerait des plis à l’entour des genoux et du jarret.

M. Pichona arboré le chapeau tuyau de poêle. C’est la partie de son costume d’apparat qui le gêne le plus, et c’est aussi celle dont il est le plus fier. Comme il l’a pris un peu étroit, « parce que ça tient mieux », le chapeau lui comprime la tête et lui donne une migraine affreuse. De temps en temps M. Pichon se découvre pour se soulager, et alors la partie supérieure de son front, qui est d’un rouge pourpre, lui donne l’air d’un homme fraîchement scalpé. Il se recoiffe, sa torture recommence, et sa figure prend une expression très comique de souffrance et de jubilation.