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les conduits d’évier où ils se chauffent au soleil, les yeux fermés.

— Je vous assure, dit le capitaine avec le plus grand sérieux, que j’aurais fait le voyage de la Silleraye rien que pour voir ce que vous m’annoncez. »

« Attention ! » cria le conducteur quand la diligence eut dépassé la petite guérite de l’octroi.

L’une après l’autre, toutes les prédictions du conducteur se trouvèrent réalisées.

« Ah ! s’écria le capitaine, voici enfin quelqu’un qui regarde la diligence !

— C’est le pharmacien, répondit Pichon, en regardant le pharmacien avec une sorte de commisération. On voit bien qu’il n’est pas du pays, lui. Il y ajuste trois mois qu’il est installé. Dans trois mois d’ici, il aura décampé, ou bien il dormira, comme les autres.

— De quels autres parlez-vous ? demanda le capitaine tout surpris, et pourquoi ce pharmacien décamperait-il ?

— Pourquoi il décamperait ?

— Oui !

— Parce qu’il ne pourra pas s’en empêcher ; parce que les étrangers ne peuvent pas vivre ici ; parce qu’ils y étouffent d’ennui, à moins cependant qu’ils ne soient nés avec la vocation, alors ils s’endorment tout doucement, comme les gens du pays, et on ne les distingue plus du reste de la population. Dans cette diligence où nous sommes, qui est encore presque neuve, j’ai amené et remmené trois conservateurs des hypothèques, deux gardes généraux et je ne sais combien d’employés de l’enregistrement ; ils étaient comme enragés d’ennui, et ils ne se gènaient pas pour le dire. Ce n’était guère flatteur pour mon pays, mais je ne pouvais pas leur en vouloir.

— Vous me surprenez étrangement.

—Je savais bien que je vous surprendrais. Maintenant, si vous voulez que je vous dise mon idée… attention, ça va tourner un peu brusquement ; il faut que je dépose les dépêches au bureau de la poste. Tenez, ajouta-t-il tout bas, en fourgonnant dans le coffre pour atteindre le sac aux dépêches, sur trois employés de la poste, il y en a deux qui sont là depuis quinze jours et que je remmènerai dans quatre mois et demi ; le vieux est du pays, il y mourra tranquillement. »