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sortit de sa cachette et s’avança obliquement, à pas de loup, dans la direction de la gare. Il prenait tant de précautions pour n’être point remarqué que tout le monde le remarqua. Mais, une fois dans la salle d’arrivée, il put se dissimuler tout à son aise dans la foule compacte.

Le capitaine Maulevrier était au premier rang, près de la porte qui devait livrer passage aux voyageurs. Il avait jeté son cigare et piétinait sur place comme un homme qui s’impatiente. La porte s’ouvre à deux battants, la foule se comprime des deux côtés pour laisser un passage libre, toutes les têtes sont tournées du même côté, beaucoup de personnes se dressent sur la pointe des pieds.

Les voyageurs commencent à défiler, avec cet air abasourdi des gens qui ont été longtemps assis et renfermés ; quelques-uns cherchent des amis dans la foule ; des bras se lèvent, il y a de petites bousculades, le capitaine ne bronche pas.

Ah enfin ! voici le capitaine Gilbert. Quoiqu’il soit en costume civil, on reconnaît tout de suite un officier ; d’ailleurs il est décoré. Il échange une chaude poignée de main avec le capitaine Maulevrier et se met à causer avec lui, sans doute en attendant Mme Gilbert et les enfants.

Le cœur de Pichon bat avec violence ; on ne voit jamais sans émotion des gens dont on a entendu beaucoup parler, et avec lesquels on doit se trouver en relations. Ce n’est pas du tout comme cela qu’il s’était figuré le capitaine Gilbert. Il le trouve bien hâlé pour un convalescent, il n’aime pas beaucoup non plus ses cheveux roux ramenés en accroche-cœurs au-dessus de ses oreilles, ni ses yeux trop rapprochés l’un de l’autre, ni son nez busqué, ni sa bouche, aux lèvres minces, si voisines du nez que les moustaches circonflexes ont l’air de sortir des narines. Tout en causant avec lui, le capitaine Maulevrier jette des regards de l’autre côté de la porte. Tout à coup il donne une grande poignée de main au capitaine Gilbert et lui dit vivement quelques mots pour lui expliquer quelque chose. Le capitaine Gilbert salue, sans attendre sa femme et ses enfants, et se dirige vers la porte de sortie en jetant sur la foule des regards durs et dédaigneux.

M. Pichon le suit de son demi-œil. Mais, pendant qu’il a la tête tournée, le capitaine Gilbert, le vrai, cette fois, échange de chaudes poignées de main avec son ami, le présente à sa femme et quand