Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/115

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à sa prière, de lui arracher le trait, quand, me voyant entouré, et déjà dépassé par un gros de Perses, je pris, hors d’haleine, ma course vers la Ville. Très escarpée du côté où nous poussait l’ennemi, elle n’est accessible que par un étroit sentier taillé dans le roc, et encore rétréci par des môles artificiels.

(12) Nous y restâmes jusqu’au lendemain matin, confondus avec les Perses qui s’y étaient engagés pêle-mêle avec nous, et dans un encombrement tel que les cadavres ne trouvaient pas jour à tomber, et qu’un soldat, qui avait la tête fendue par un affreux coup d’épée, restait devant moi debout comme un pieu, maintenu de tous les côtés.

(13) L’extrême proximité des murs nous garantit d’une grêle de projectiles que lancèrent les machines du haut des remparts. Une poterne enfin s’ouvrit pour nous, et je trouvai la ville envahie par une immense cohue des deux sexes. Ce jour en effet se trouvait être précisément l’anniversaire d’une grande foire qui se tient périodiquement dans les faubourgs, et y fait affluer la population des campagnes voisines.

(14) C’était dans l’intérieur un concert confus de lamentations ; ceux-ci, blessés à mort, poussant les cris de l’extrême détresse ; ceux-là se lamentant des pertes qu’ils avaient faites, ou appelant à grands cris ceux qui leur étaient chers, et que la presse les empêchait d’apercevoir.

Chapitre IX

(1) Amida n’était primitivement qu’une bicoque ; mais Constance, alors César, conçut le dessein, au moment même où il élevait une autre ville, celle d’Antoninopolis, de faire de celle-ci un refuge assuré pour la population environnante. Il lui donna une enceinte de murailles et de tours, y établit un magasin de machines de rempart ; en un mot, en fit une place de guerre redoutable, et voulait lui donner son nom.

(2) Elle est baignée au sud par le Tigre, qui fait un coude en cet endroit peu éloigné de sa source. Elle domine à l’est les plaines de Mésopotamie. Au nord, elle a la rivière de Nymphée à proximité, et pour boulevard les crêtes du Taurus, qui forment la démarcation de l’Arménie et des régions transtigritaines. Du côté de l’ouest, elle touche à la Gumathène, contrée d’une fertilité que seconde une bonne culture, et où se trouve le village d’Abarne, renommé par ses eaux thermales. Au centre d’Amida même, au pied de la citadelle, jaillit une source abondante d’eau potable, mais sujette, par les fortes chaleurs, à prendre une odeur méphitique.

(3) La garnison permanente de la ville n’était composée que de la cinquième légion Parthique, et d’un corps de cavalerie levé dans le pays, et qui n’était pas à mépriser. Mais l’irruption des Perses y avait fait accourir six légions, qui devancèrent l’ennemi sous ses murs par une marche forcée, et mirent la place sur un pied de défense respectable. Deux de ces légions portaient les noms de Magnence et de Décence. L’empereur, qui s’en défiait, les avait, après la guerre civile, reléguées en Orient, où l’on n’avait de confit à craindre qu’avec l’étranger. Les quatre autres légions étaient la trentième, la dixième, dite Fortensis, et deux autres formées des soldats nommés Voltigeurs (Superventores) et Éclaireurs (Praeventores), sous le commandement d’Élien, récemment promu au titre de comte. On se rappelle le coup d’essai à Singare de cette troupe alors novice, et le carnage qu’elle fit des Perses endormis, dans une sortie dirigée par ce même officier, qui n’était alors que simple