Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/118

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d’une grande entreprise. On réussit à le calmer ; mais il résolut de faire dès le lendemain une sommation à la place.

(7) Grumbatès, roi des Chionites,fut chargé de cette mission ; et dès que 1e jour parut, ce prince, avec une escorte des mieux montées, s’avança résolument vers la muraille. Mais dès qu’il fut à portée, un trait, chassé d’une arbalète par une main exercée, vint frapper à ses côtés son fils, jeune homme qui l’emportait sur tous ceux de son âge en taille et en bonne mine, et lui traversa la cuirasse et la poitrine d’outre en outre.

(8) En le voyant tomber, tous se dispersèrent ; mais bientôt le devoir les ramena autour du corps, pour empêcher qu’il ne fût enlevé. Leurs cris de vengeance appelèrent alors cette multitude de nations aux armes. Une grêle meurtrière de traits fut échangée avec fureur ;

(9) un grand nombre de soldats tomba de part et d’autre, et le carnage se prolongea jusqu’à l’entrée de la nuit, dont l’ombre ne couvrit qu’à peine l’enlèvement du cadavre, à travers des monceaux de morts et des ruisseaux de sang. Telle fut jadis sous les murs de Troie cette lutte sanglante où deux armées se disputaient le compagnon expiré du héros de Thessalie.

(10) Le deuil du père en cette occasion fut partagé par toute la cour persane, et par les chefs confédérés sans exception ; car ce noble jeune homme était aussi universellement chéri que digne de l’être. Une suspension d’armes fut ordonnée pour la célébration de ses obsèques, suivant le rite de sa nation. Le corps, revêtu de son armure, fut exposé sur une estrade spacieuse et élevée, et entouré de dix lits funéraires, sur chacun desquels était déposée l’effigie, soigneusement imitée, d’un corps mort et enseveli. Les hommes, groupés par tentes et par manipules, passèrent les sept jours suivants en banquets entremêlés de danses et d’hymnes lugubres en l’honneur du jeune héros.

(11) De leur côté, les femmes éclataient en gémissements et en sanglots, et se frappaient la poitrine en s’écriant que l’espoir de la patrie avait été tranché dans sa fleur ; imitant, dans les démonstrations de leur douleur, les prêtresses de Vénus quand elles célèbrent la fête d’Adonis, symbole mystique de la reproduction des biens de la terre.

Chapitre II

(1) Quand les flammes eurent consumé le corps, on renferma les cendres dans une urne d’argent que le père avait résolu de ne confier qu’au sol natal, à son retour. On tint ensuite un conseil, où il fut décidé qu’on offrirait l’incendie de la ville, et sa destruction de fond en comble, en expiation aux mânes du jeune prince. Grumbatès, en effet, ne voulut entendre à aucune proposition de se remettre en marche avant d’avoir vengé son fils unique.

(2) Deux jours furent consacrés au repos : toutefois de nombreux détachements allèrent ravager les campagnes environnantes, dont la riche culture présentait partout la florissante image de la paix. Le troisième, au lever de l’aurore, une ceinture de cinq rangs de boucliers se forma autour de la ville. Une innombrable cavalerie remplissait l’espace, aussi loin que la vue pouvait s’étendre ; et chaque division, s’ébranlant au petit pas, vint occuper le poste que le sort lui avait assigné.

(3) L’armée perse décrivait complètement le cercle autour de la ville. La partie de l’est était échue aux Chionites. C’était de ce côté que, par un hasard qui nous devint si fatal, leur jeune prince avait perdu la vie. Les Kouchans