Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/126

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déjà dit que nous avions brûlé ses ouvrages. L’attaque cette fois fut tentée au moyen des terrasses qu’il avait fait élever contre nos murs, et soutenue de notre côté avec une égale vigueur, du haut des échafaudages que nous aurions tenté de porter à leur niveau.

(2) L’action fut longue et sanglante. Des deux côtés on bravait la mort plutôt que de faire un pas en arrière. En un mot, les choses en étaient à ce point qu’il n’y avait qu’une circonstance fortuite qui pût décider du sort de l’un ou de l’autre parti, quand notre échafaudage, dès longtemps fatigué, s’écroula tout à coup comme par l’effet d’un tremblement de terre, comblant de ses débris l’intervalle qui séparait le mur de la terrasse, aussi complètement que si on les eût joints par un pont ou par une chaussée. Cet accident ouvrit à l’ennemi un libre passage, et mit hors du combat un grand nombre des nôtres, écrasés ou mutilés par la chute de l’édifice.

(3) On accourut cependant de toutes parts pour parer à ce coup imprévu, et avec une précipitation qui fit qu’on se nuisait les uns aux autres, ce qui accrut encore l’audace des assiégeants.

(4) Aussitôt, par les ordres du roi, l’armée perse se porte tout entière sur ce point. Une mêlée furieuse s’y engage ; on se bat corps à corps ; des deux côtés le sang ruisselle et les hommes tombent ; le fossé se remplit de cadavres, et le passage s’élargit. Un flot d’ennemis déborde déjà dans la ville : plus d’espoir de fuir ou de se défendre. Combattant ou non, tout est massacré sans distinction de sexe ni d’âge, et comme on égorge de vils troupeaux.

(5) Quand la nuit survint, un assez grand nombre des nôtres résistait encore, et faisait des efforts désespérés. Pour moi, je profitai des ténèbres pour me cacher avec deux compagnons dans un endroit écarté de la ville, et de là gagner une poterne que nul ne songeait à garder. L’obscurité régnait autour de nous ; mais heureusement je connaissais les chemins, et mes compagnons étaient exercés à courir. Nous eûmes en peu de temps franchi l’espace de dix milles ;

(6) et, après avoir pris haleine, nous repartîmes sans délai. Cependant j’étais mal préparé, par mes habitudes d’existence aristocratique, à d’aussi grandes fatigues. Je me sentais déjà défaillir, quand survint un accident assez tragique en lui-même, mais qui, dans l’état où je me trouvais, fut un coup du ciel pour moi.

(7) Un palefrenier de l’armée ennemie montait à nu un cheval fort vif qui n’avait pas de mords, et qu’il menait à la longe. Craignant de laisser échapper la courroie, il en avait, suivant l’usage, étroitement noué le bout à son poignet gauche. Il fut jeté à bas, et, ne pouvant se dégager du lien, fut bientôt mis en pièces par l’animal, qui enfin s’arrêta de guerre lasse, retenu par le poids du cadavre, après l’avoir longtemps traîné çà et là. Je me hâtai de profiter de la monture que le sort m’amenait si à propos, et j’atteignis, non sans peine et toujours en même compagnie, un endroit où jaillissent des sources chaudes et sulfureuses.

(8) La chaleur était extrême ; une soif ardente nous dévorait, et nous errions péniblement à la recherche d’une eau potable. Enfin, nous découvrîmes un puits, mais sans corde, et d’une profondeur qui ne permettait pas d’y descendre. La nécessité nous inspira. De tout le linge de nos vêtements, découpé en lanières, nous façonnâmes un long cordon, à l’extrémité duquel fut attachée la calotte que l’un de nous