Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/130

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de tous le moyen de s’assurer le fruit de leurs rapines. À l’état de prospérité on vit bientôt succéder les expropriations et les suicides.

(4) Pressé de couper court aux maux de l’invasion, l’empereur partit donc à la tête d’une force imposante, et se porta vers cette fraction de la Pannonie, récemment constituée en province distincte sous Dioclétien, et qui, en l’honneur de sa fille, a reçu le nom de Valérie. Là sa tente fut plantée sur les bords de l’Ister ; et il se mit à observer les mouvements des barbares. Ceux-ci s’étaient flattés de devancer sa marche en Pannonie, et, en pénétrant dans le pays au cœur de l’hiver sous le prétexte de l’alliance, de la ravager d’un coup de main, pendant que la glace du fleuve, résistant aux premières influences du printemps, ne permettait que difficilement à nos troupes de tenir campagne.

(5) Constance commença par députer aux Limigantes deux tribuns accompagnés chacun d’un interprète, pour leur demander sans aigreur à quel propos ces courses vagabondes, et cette violation du territoire au mépris des traités, au mépris d’une paix implorée et jurée.

(6) Ce message leur imposa. Ils s’épuisèrent d’abord en vains prétextes, et finirent par demander grâce, implorant, avec l’oubli de ce nouveau tort, la permission de passer le fleuve, et de venir exposer à l’empereur le tableau de leurs misères. Ils étaient prêts, s’il le trouvait bon, à s’aller fixer dans quelque district lointain de la circonscription de l’empire, désormais voués au culte de la paix comme à celui d’une divinité bienfaisante, et acceptant le titre et la condition de sujets.

(7) Ces propositions, rapportées à Constance par les tribuns, comblèrent son cœur de la joie la plus vive. Il se voyait, sans conflit, débarrassé d’une de ses préoccupations les plus sérieuses. Le sentiment de l’avarice, fomenté par les cris de sa cohorte de flatteurs, trouvait aussi son compte à cet arrangement. C’était en finir, disait-on, avec la guerre extérieure ; la paix allait être assurée partout ; on y gagnait un accroissement de population considérable, un vigoureux séminaire de recrutement ; enfin un soulagement pour les provinces, toujours empressées, par une transaction trop souvent préjudiciable à la chose publique, de racheter au prix de l’or l’impôt du sang.

(8) Constance campa près d’Acimincum, et y fit élever un tertre en forme de tribunal. Un certain nombre de barques, montées d’hommes armés à la légère, dut se tenir en observation aussi près que possible du rivage, afin de prendre à dos les barbares, à la moindre démonstration hostile. C’était un conseil de l’ingénieur Innocentius, qui eut le commandement de ce parti.

(9) Ces dispositions n’échappèrent pas aux Limigantes ; mais ils n’en gardèrent pas moins leur attitude de suppliants, qui servait de masque à des intentions d’une autre nature.

(10) L’empereur méditait l’allocution la plus adoucie ; et se préparait à les traiter en hommes qui se repentent, quand l’un d’eux tout à coup lance avec fureur sa chaussure contre le tribunal, en vociférant le mot "Marha, Marha", qui est leur cri de guerre. Toute la multitude, à ce signal, redresse ses enseignes, et se précipite vers le prince avec des hurlements de bêtes féroces.

(11) Lui, qui de sa position dominante vit ce formidable tourbillon