Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/151

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que continuaient à montrer les nôtres commençait à alarmer les assiégés, lorsqu’on s’avisa de mettre en batterie un bélier monstrueux, qui jadis avait procuré aux Perses la prise d’Antioche, et qu’ils avaient ensuite laissé derrière eux à Carrhes. La vue de cette machine, la merveille de sa construction, glacèrent d’abord le courage des assiégés, qui crurent un moment qu’il ne leur restait plus qu’à se rendre. Mais le cœur leur revint. Ils s’ingénièrent à neutraliser l’effet de ce terrible instrument de guerre ;

(12) et ni l’audace ni l’adresse ne leur manqua. Tandis que les assiégeants s’évertuaient de tous leurs moyens à rajuster les pièces de ce vieux bélier, qu’on avait démonté pour la commodité du transport ; que tous leurs efforts étaient tendus à en protéger l’approche, les balistes et les frondes de la ville ne cessaient leurs volées de pierres, qui, de droite ou de gauche, atteignaient nos ouvriers, et nous coûtaient bon nombre de vies. Nos terrasses cependant faisaient des progrès rapides, et les opérations de jour en jour se poussaient avec plus de vigueur. Mais elles n’en étaient pour nous que plus meurtrière, par l’ardeur même que montraient les soldats à mériter les récompenses. Combattant sous les yeux de leur empereur, quelques- uns allaient jusqu’à désarmer leur tête du casque pour être plus sûrement reconnus, et devenaient ainsi des points de mire pour les flèches des Perses.

(13) On ne dormait ni jour ni nuit, les sentinelles des deux parts tenant perpétuellement leur monde sur le qui-vive. Cependant les Perses voyaient nos terrasses s’élever de plus en plus, et le grand bélier s’avancer, suivi d’autres de dimensions moindres. Effrayés au dernier point, ils s’efforçaient d’y mettre le feu, et faisaient pleuvoir dessus les brandons, les traits incendiaires ; le tout sans produire aucun effet, car les machines étaient couvertes en partie de cuirs frais ou de tissus mouillés, et enduites, quant au reste, d’alun, ce qui les rendait incombustibles.

(14) Les Romains éprouvaient des difficultés inouïes à les mouvoir et à les protéger ; mais l’espoir d’emporter la place leur faisait braver les plus grands périls.

(15) De leur côté, les assiégés, au moment où le grand bélier allait enfin jouer contre une de leurs tours, eurent l’adresse singulière de saisir et enlacer, à l’aide de longues cordes, la tête de fer du battant (qui figure effectivement celle d’un bélier), de manière à en arrêter le mouvement de réaction, et conséquemment à en paralyser tout l’effet. Ils l’inondèrent en même temps d’un déluge de poix bouillante. Les autres machines en batterie restèrent aussi un assez longtemps immobiles, en butte aux projectiles de toutes sortes qu’on leur envoyait des remparts.

(16) Mais déjà les terrasses atteignaient le couronnement. Les assiégés, s’ils ne frappaient quelque grand coup, voyaient leur perte imminente. Ils prirent la résolution désespérée de faire une sortie, et d’incendier au milieu du combat les béliers avec des torches et des pots à feu.

(17) Cependant, après un engagement assez vif, ils se virent repoussés en désordre vers la ville, sans avoir rien réalisé de leur projet. Aussitôt les Romains, du haut de leurs terrasses, font sur les remparts une décharge générale de leurs arcs et de leurs frondes, sans oublier les traits enflammés qu’ils lancèrent avec profusion sur les tours ; mais que la vigilance de leurs gardiens empêcha de produire grand effet.