Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/160

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non moins distinguée par son esprit de justice, m’a toujours accordé, avec le mérite de la modération et du désintéressement dans l’administration civile, celui de la prudence et du sang-froid dans nos rencontres si fréquentes avec les nations barbares.

(6) Or, c’est seulement par l’étroite union des volontés que nous pourrons faire face aux épreuves qui nous attendent. Suivez donc, tandis que les circonstances s’y prêtent encore, un conseil que je crois des plus salutaires : c’est de profiter du désarmement actuel de l’Illyrie pour en occuper la lisière du côté des Daces. Une fois établis sur cette ligne, nous aviserons à étendre nos succès.

(7) Promettez-moi sur la foi du serment, comme on le fait quand le chef inspire confiance, votre concours fidèle et persévérant. Vous savez que de mon côté vous n’avez à craindre ni témérité ni faiblesse, et que vous avez un chef prêt à justifier à chacun de vous d’intentions et de motifs qui n’ont que le bien public pour mobile et pour but.

(8) Mais, je vous en conjure, veillez sur l’entraînement de votre ardeur belliqueuse ; que l’intérêt privé n’en reçoive aucune atteinte. Souvenez-vous que moins de gloire a rejailli sur vous de cette multitude d’ennemis abattus sous l’effort de vos armes, que du bel exemple que vous avez donné en traitant avec humanité la province que vous avez sauvée par votre courage."

(9) Ce discours de leur empereur eut sur les soldats l’effet d’un oracle. Une émotion passionnée s’empara de tous les cœurs, et l’enthousiasme pour le règne nouveau se manifesta par un tonnerre d’acclamations, mêlées au retentissement des boucliers. De tous côtés on n’entendait que répéter les noms de grand capitaine, de chef sans égal, et le titre, mérité sous leurs yeux, d’heureux dompteur des nations.

(10) Tous, approchant de leur gorge la pointe de leur épée nue, jurèrent, suivant la formule consacrée, et sous les plus terribles exécrations, d’offrir, s’il le fallait, tout leur sang en sacrifice à leur empereur. Les chefs de l’armée, et les gens attachés à la personne du prince, en firent autant.

(11) Le préfet Nébride refusa seul, avec une loyauté plus courageuse que prudente, de s’engager par serment contre l’empereur Constance, qui l’avait, disait-il, comblé de bienfaits.

(12) Cette protestation exaspéra les soldats, qui l’auraient massacré si Julien, dont il embrassait les genoux, ne l’eût couvert d’un pan de sa robe. De retour au palais, Julien trouva Nébride prosterné, qui lui tendait la main, en le suppliant de le délivrer de son effroi : "Que ferais-je donc pour mes amis, lui dit Julien, si je permettais que ta main touchât la mienne ? Mais tu n’as rien à craindre : va où tu voudras." Nébride alors se retira chez lui, sain et sauf, en Toscane.

(13) Après ce préliminaire indispensable, et qui cadrait avec la grandeur de l’entreprise, Julien, connaissant toute la puissance de l’initiative en temps de révolution, donna le signal de marche, et se dirigea vers la Pannonie, avec le parti pris de tenter la fortune.

Chapitre VI

(1) L’intelligence des faits exige un coup d’œil rétrograde, et l’exposé succinct des actes militaires et civils