Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/199

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élever près du port une haute tour qui a pris le nom de Pharos, du sol de l’île sur lequel elle est assise, et qui sert la nuit de fanal ; de sorte que les navires venant de la mer Parthénienne, ou de celle de Libye, ne risquent plus de se perdre sur les sables de ce vaste littoral, dégarni de toute colline qui puisse guider leur direction.

(10) C’est encore cette reine qui, dans un cas de nécessité urgente, et dont les circonstances sont bien connues, fit construire la fameuse jetée de sept stades, avec une célérité qui passe toute croyance. L’île de Pharos, où Homère a poétiquement logé Protée et son troupeau marin, et qui n’est qu’à mille pas de la plage d’Alexandrie, payait autrefois un tribut aux Rhodiens.

(11) Ils vinrent un jour le recouvrer, en exagérant beaucoup la somme due. La rusée princesse, sous prétexte de donner une fête aux agents rhodiens, les occupa dans les faubourgs d’Alexandrie, et donna l’ordre de construire pendant ce temps la jetée, en poussant les travaux sans désemparer. En sept jours l’ouvrage fut achevé, à raison d’un stade par jour, et l’île se trouva jointe par une chaussée à la terre ferme. Cléopâtre y fit aussitôt son entrée par cette voie, et dit "que les Rhodiens étaient dans l’erreur, le tribut étant dû par une île, et non par un continent."

(12) Alexandrie est ornée de temples magnifiques, au milieu desquels se distingue celui de Sérapis. Aucune description n’en pourrait donner une idée. Les portiques, les colonnades, les chefs d’œuvre de l’art qui respirent dans ce monument, composent un ensemble qui ne le cède qu’à ce Capitole, orgueil éternel de la métropole de l’univers.

(13) Là se trouvait jadis deux bibliothèques inestimables. D’anciens documents constatent la présence de sept cent mille volumes réunis par la sollicitude libérale des Ptolémées. Mais le tout devint la proie des flammes dans la guerre d’Alexandrie, au moment du sac de la ville par le dictateur César.

(14) À douze milles d’Alexandrie, on rencontre Canope, dont une tradition ancienne rapporte le nom au pilote de Ménélas, qui reçut en ce lieu la sépulture. Cette ville abonde en hôtelleries commodes. L’air y est si pur et si tempéré, que l’étranger, qui n’y entend que le doux murmure du zéphyr, se croit transporté dans un monde différent de celui des humains.

(15) L’existence d’Alexandrie, à la différence des autres villes, n’a pas été progressive : elle a tout d’un coup atteint son entier développement. Mais, dès son origine, elle fut déchirée par des dissensions intérieures, qui, après de longues années, prirent sous le règne d’Aurélien les caractères de guerre civile et de guerre d’extermination. Ce prince renversa ses murailles, et Alexandrie perdit la plus importante partie de son territoire, le district appelé Brouchion, berceau de plusieurs beaux génies :

(16) tels sont le célèbre grammairien Aristarque ; Hérodien, si ingénieux dans ses recherches sur les beaux-arts ; Ammonius Saccas, qui fut le maître de Plotin, et une foule d’autres noms illustres dans les lettres ; au milieu desquels il ne faut pas oublier Didyme Chalcentère, auteur de plusieurs ouvrages d’une érudition variée, mais auquel les gens de goût reprochent d’avoir joué près de Cicéron, dans six livres de critique