Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/240

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se tenant prêts, si l’animal devenait furieux au point qu’ils n’en fussent plus maîtres, à l’en frapper de toute leur force à l’articulation de la dernière vertèbre, l’expérience d’Hasdrubal, frère d’Hannibal, ayant démontré qu’il n’en faut pas davantage pour mettre un de ces monstres à mort.

(16) Julien promène un instant ses regards sur tout ce formidable appareil ; puis, d’un cœur intrépide, il court, entouré de ses principaux officiers et suivi de son escorte, ranger sa troupe en bataille. Pour racheter la disproportion du nombre, il adopta l’ordonnance en croissant, refusant en partie ses ailes ;

(17) et, craignant que les archers persans ne missent le désordre dans ses bataillons s’il leur laissait l’initiative de l’attaque, il se porta en avant avec une vivacité qui neutralisa l’effet de leur décharge. Au signal donné, l’infanterie romaine fondit en rangs serrés sur les masses profondes des Perses, et rompit leurs premières ligues.

(18) L’action s’échauffe, et l’on n’entend sans relâche que le cliquetis des boucliers, mêlé au sinistre sifflement des traits et aux cris des combattants. Le sol se couvre de sang et de morts, principalement du côté des Perses, qui de près se battent mollement, et soutiennent assez mal le corps à corps. Leur tactique, en effet, est de se tenir à distance, de céder le terrain au moindre désavantage, et de lancer, tout en fuyant, des grêles de traits qui ôtent l’envie de les poursuivre. Les Perses furent donc vigoureusement poussés ; et les nôtres regagnèrent leurs tentes au signal de la retraite, fatigués d’avoir tout le jour combattu sous un ciel ardent, mais animés par le succès et disposés à de plus grands efforts.

(19) Les Perses, avons-nous dit, firent dans ce combat des pertes considérables. La nôtre fut insignifiante. Nous eûmes cependant à regretter en première ligne l’intrépide Vétranion, qui commandait la légion Ziannienne.

Chapitre II

(1) II y eut ensuite trois jours de repos, dont on profita pour panser les blessures. Mais tout service de vivres avait cessé, et nous éprouvions déjà les extrémités de la disette. Bêtes et gens étaient réduits à l’inanition, par l’incendie des fourrages et des grains sur pied. Les provisions destinées à l’usage particulier des tribuns et des comtes, et dont ils se faisaient suivre à dos de bêtes de somme, furent en grande partie distribuées aux pauvres soldats dépourvus de semblables réserves.

(2) Quant à l’empereur, qui n’avait pas d’ordinaire royal, et qui, sous le chétif abri de sa tente, soupait d’une portion de bouillie dont un valet d’armée aurait fait fi, il oubliait ses propres besoins, et abandonnait aux plus dénués ce qu’on parvenait à se procurer pour sa table.

(3) Une nuit où, après quelques heures d’un sommeil inquiet et interrompu, il avait, à l’exemple de Jules César, fait trêve au repos pour écrire sous sa tente, et s’occupait à méditer sur quelques sujets philosophiques, il vit, ainsi qu’il en a fait confidence à quelques amis, le génie de l’empire, mais bien différent de ce qu’il était lorsqu’il apparut à Julien César, lors de son avènement dans les Gaules. Sa contenance était morne ; un voile couvrait sa tête et sa corne d’abondance, et il ne fit que traverser silencieusement la tente.

(4) L’empereur fut un moment troublé ; puis son âme supérieure à toute crainte s’abandonna bientôt aux décrets de la destinée. Il était nuit pleine encore ; mais il quitta sa couche pour conjurer par un sacrifice les malheurs dont il semblait menacé, lorsqu’une traînée de lumière, pareille à la chute