Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/32

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lequel il comptait le plus. Il en fut frappé au point de ne plus savoir à quoi se résoudre. Dans le trouble de son esprit, cette pensée lui revenait sans cesse, que Constance sacrifiait tout à son but, n’admettait aucune composition, ne pardonnait aucune faute, et se montrait d’autant plus impitoyable qu’on le touchait de plus près : assurément son appel n’était qu’un piège, et il y allait de la vie de s’y laisser envelopper.

Dans cette situation si critique, et regardant sa perte comme certaine s’il ne faisait un effort pour s’en tirer, Gallus considéra quelles chances il pouvait avoir pour s’emparer du rang suprême. Mais il avait un double motif d’appréhender les défections : il savait être haï pour sa violence, autant que méprisé pour son peu de caractère ; et c’était un épouvantail pour ses adhérents que le succès continu des armes de Constance dans les guerres civiles. Au milieu de ces terribles perplexités, les lettres de l’empereur venaient coup sur coup le presser, tour à tour sur le ton de la remontrance ou de la prière, et toujours insinuant, sous une phraséologie captieuse, que, dans les embarras présents de l’État (ce qui faisait allusion au ravage des Gaules), l’action du pouvoir ne pouvait ni ne devait être plus longtemps divisée ; qu’il fallait se rapprocher, contribuer de concert, chacun dans la mesure de ses facultés, au salut de la chose publique. Sous Dioclétien, ajoutait-il (et c’était un souvenir récent), les Césars, ses collègues, n’avaient pas même de résidence fixe, mais attendaient, comme autant d’appariteurs, l’ordre de se porter de leur personne sur un point désigné. N’avait-on pas vu en Syrie cet empereur, dans un accès de dépit, laisser marcher devant son char, l’espace de près d’un mille, Galérius à pied, tout revêtu qu’était ce dernier de la pourpre ?

Plusieurs émissaires avaient successivement échoué près de Gallus. Arrive enfin Scudilon, tribun des scutaires, l’esprit le plus délié, le plus insinuant sous sa grossière enveloppe, qui, tour à tour cajolant et parlant raison, put enfin le décider à partir. L’hypocrite revenait à chaque instant sur la tendre impatience que le frère de sa femme, le fils de son oncle ; avait de le revoir. Quelques écarts d’imprudence pouvaient-ils ne pas trouver grâce devant ce prince si doux, si clément, qui ne voulait que lui faire part de sa grandeur, et l’associer à ses futurs travaux pour le soulagement des souffrances trop prolongées des provinces du nord ?

A ceux qu’une fois elle a marqués de son sceau, la fatalité trouble le jugement, ôte l’intelligence. Gallus se laissa prendre à ces flatteuses amorces. Ranimé par les promesses d’un avenir plus heureux, il quitte Antioche sous de funestes auspices, et se dirige sur Constantinople. C’était, comme dit le proverbe, se jeter dans le feu pour éviter la fumée. Il fit son entrée dans cette ville en homme à qui la fortune sourit et qui n’a rien à craindre, y donna des courses de char, et couronna de sa main le cocher Corax, qui en était sorti vainqueur.

Cette particularité vint aux oreilles de Constance, et le mit dans une fureur inexprimable. Craignant que Gallus, dans le doute de ce qui l’attendait, ne tentât, chemin faisant, quelque moyen de pourvoir à sa sûreté, il prit soin de dégarnir de troupes toutes les villes qui se trouvaient sur son passage. Sur ces entrefaites, Taurus, qui se rendait comme questeur en Arménie,