Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/45

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Nous voyagions à grandes journées, notre chef voulant, dans son zèle, atteindre la frontière suspecte avant que la nouvelle de la défection ne fût publique en Italie. Mais, si rapide que fût notre marche, la renommée nous devança ; et à notre arrivée à Agrippine la révolte avait pris un développement qui défiait les moyens de répression dont nous pouvions disposer. Partout un concours empressé de la population au nouvel ordre de choses ; partout des réunions de troupes considérables. Dans de telles conjonctures, il n’y avait pour Ursicin qu’un seul parti à prendre, et c’est une nécessité dont il faut le plaindre : faire violence à ses sentiments et à ses désirs par un simulacre d’adhésion à ce pouvoir d’un jour, et conduire la déception avec assez d’adresse pour flatter la vanité du rebelle, et endormir sa vigilance deus une complète sécurité. Le plus difficile était le dénoûment. Quelle attention sur nous-mêmes pour ne presser ni négliger le moment d’agir ! La moindre manifestation intempestive était à tous notre arrêt de mort.

Ursicin fut bien accueilli. Contraint, pour rester dans l’esprit de son rôle, de s’incliner devant un manteau de pourpre, il se vit traité par l’usurpateur avec égards, avec faveur ; il eut un libre accès près de sa personne, la place d’honneur à sa table, et bientôt une part intime à ses confidences. Silvain récriminait avec amertume contre les indignes choix qu’on avait faits constamment pour le consulat et les hautes charges, de préférence à lui et à Ursicin ; « et cela, disait-il, au mépris des longs et importants services rendus par tous deux à l’État, à la sueur de leur front. A son égard, on avait été jusqu’à mettre à la question ses amis, et à diriger contre lui-même d’ignobles procédures ; le tout sous prétexte d’une frivole accusation de lèse-majesté. Ursicin, de son côté, n’avait-il pas été violemment arraché de son poste d’Orient, et livré comme une proie à la méchanceté de ses ennemis ? » Silvain donnait carrière à son humeur en public aussi librement que dans le tête-à-tête. Outre ces propos assez peu faits pour nous rassurer, nous entendions frémir autour de nous l’impatience de la soldatesque, qui criait famine, et brûlait déjà de franchir les Alpes Cottiennes.

Dans cette position si critique, nous nous creusions tous la tète pour arriver à un résultat. A la fin, après mille autres partis pris et abandonnés tour à tour, nous tombâmes d’accord que des émissaires choisis avec grand soin, et dont un serment nous assura la discrétion, tenteraient la fidélité douteuse des Braccates et des Cornutes ; milices toujours prêtes à se vendre au plus offrant. Nos entremetteurs, bien payés et pris dans les plus obscurs, comme plus propres à une transaction de ce genre, eurent bientôt conclu le marché. Au point du jour, un gros de gens armés se montre tout à coup devant le palais ; et leur audace, comme il arrive parfois, s’exaltant de ce qu’il y avait de hasardeux dans l’entreprise, ils égorgent la garde, pénètrent dans l’intérieur, et massacrent Silvain, après t’avoir arraché demi-mort d’une chapelle consacrée au culte chrétien, où il était allé chercher refuge.

Ainsi périt un officier dont on ne peut contester le mérite, victime d’une aberration où l’entraîna la plus noire des calomnies. Absent, il se vit hors d’état de briser le fatal réseau tendu