Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/61

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ardues de la science ! et comme sa pensée toujours tendait à s’élancer au delà ! La philosophie n’a pas de notions qu’il n’ait abordées et soumises au contrôle sévère de sa raison. Cet esprit, si propre aux notions les plus élevées et les plus abstraites, savait descendre cependant aux spéculations d’un ordre secondaire. Il aimait la poésie et la littérature "on en voit la preuve dans l’élégance soutenue et la pureté sévère du style de ses haraggues et de ses épîtres. Son goût le portait encore à suivre dans toutes leurs vicissitudes l’histoire de son pays et celle des nations étrangères. Il possédait assez le latin pour soutenir en cette langue l’entretien sur un sujet quelconque. En un mot, s’il est vrai, comme divers auteurs l’ont affirmé du roi Cyrus, du poëte Simonide, et du célèbre sophiste Hippias d’Élée, qu’il soit possible, au moyen de certain breuvage, d’augmenter la force de la mémoire, on pourrait dire de Julien qu’il en avait eu le tonneau à sa disposition, et qu’il l’avait mis à sec avant d’arriver à l’âge d’homme.

Nous avons fait connaître le chaste et noble emploi qu’il faisait de ses nuits:nous exposerons aussi, plaçant chaque chose en son lieu, comment ses journées étaient remplies ; ce qu’il savait mettre de charme dans son entretien, de piquant dans ses saillies ; quel caractère il déploya dans la guerre, avant et pendant l’action; et enfin de quel esprit de liberté, de quelle âme généreuse sont empreints les actes de son administration civile.

Jeté tout à coup au milieu des camps, Julien dut improviser son éducation militaire. Aussi quand il lui fallait, au son des instruments, marcher du pas cadencé de la pyrrhique, lui arrivait-il souvent de s’écrier, O Platon ! et de dire avec ironie, s’appliquant un vieux proverbe : Un bœuf porter harnais ! l’équipage va mal à mon dos.

Un jour, ayant mandé les agents du fisc dans son cabinet pour leur remettre une somme d’argent, l’un deux présenta les deux mains, au lieu d’étendre, comme le veut l’usage, un pan de sa chlamyde. Ces gens-là, dit-il, savent bien comme on prend, mais non comme on reçoit.

Des parents lui avaient porté plainte contre un homme qui avait violé leur fille. Le ravisseur convaincu ne fut condamné qu’à l’exil. Les parents s’étant alors récriés sur cette incomplète justice, et réclamant la mort du coupable, Julien leur dit : La loi ne pardonne pas ; mais la clémence pour un prince est la première des lois.

Au moment de son départ pour quelque expédition, des pétitionnaires se présentent en foule, alléguant chacun son grief. Julien renvoya toutes les réclamations, en les recommandant aux gouverneurs des provinces. Et aussitôt qu’il fut de retour il se fit rendre un compte détaillé de la suite qui leur avait respectivement été donnée, apportant, dans sa mansuétude, quelque adoucissement à la rigueur de chaque décision.

Abrégeons. Sans parler des défaites par lesquelles il châtia souvent l’audace incorrigible des barbares, la marque la plus sensible du soulagement qu’apporta sa présence aux misères excessives de la Gaule, c’est qu’à son arrivée la moyenne des tributs était de vingt-cinq pièces d’or par tête, et qu’on n’en payait plus que sept pour tout impôt quand il quitta le pays. Aussi le peuple, dans les transports de sa joie, le comparait-il à un astre bienfaisant qui lui était apparu au milieu des plus épaisses ténèbres. Ajoutons qu’il pratiqua jusqu’à la fin de son règne