Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/746

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
LIVRE I.
PROLOGUE.

Nisi post Deum faverit imperator. Ces mots ont suffi à quelques commentateurs pour faire de Végèce un chrétien. Il est seulement certain, d’après la formule du serment militaire insérée au ch. 5 du deuxième livre, qu’il vécut sous un prince de la religion chrétienne ; mais rien ne prouve dans cet ouvrage, pas même ces mots, que ce fût celle de notre auteur, puisque les païens employaient bien avant ce temps le mot deus pour signifier la Providence, ou l’ensemble de leurs divinités protectrices. Et que resterait-il d’ailleurs de cette unique présomption, devant des leçons comme celles-ci, que donnent plusieurs manuscrits : nisi prius faverit imperator, ou nisi prænotum fuerit imperatori ?

Ausibus literarum. On lit dans quelques manuscrits usibus, variante qui ne vaut pas notre leçon ; et Scriverius eût préféré literatorum.

Vix sensi. Ce vix, omis dans certains manuscrits, déplaisait surtout à Bessel.

CHAPITRE PREMIER.

Croire qu’une armée est plus forte, plus redoutable, par cela même qu’elle est plus nombreuse en armes et en hommes, est un préjugé funeste, démenti par l’expérience de tous les siècles, combattu dans tous les temps par les militaires les plus instruits et par les auteurs les plus célèbres. Végèce, surtout, en démontre le ridicule et le danger ; mais ses preuves et les maximes dont il les appuie, quoique fondées en raison, ne le sont pas en raisonnement. Ses principes sont trop généralisés, ses réflexions trop concises, leur analogie trop éloignée des usages actuels ; il n’écrivit point pour la postérité. Son principal objet fut le rétablissement de la discipline, dans un temps et pour des troupes qui n’en connaissaient aucune. Il voulut retracer aux yeux de son prince les grands principes que les anciens Romains avaient employés pour asservir l’univers ; il n’était plus temps. — Le remède ne convenait plus au mal, et les lambeaux épars de cet empire fameux devinrent bientôt la proie des barbares empressés à sa ruine. Ce n’est cependant pas qu’on ne puisse tirer un très-grand avantage des principes que Végèce nous a laissés sur le grand art de la guerre. Cet art ayant eu dans tous les temps et ayant toujours le même objet pour but, les grands principes sur lesquels de grands hommes en ont établi les règles seront toujours les mêmes, également utiles dans tous les temps. — Une armée consulaire était ordinairement composée de deux légions nationales et de deux d’alliés. Il n’y avait que dans des circonstances critiques qu’elles étaient de quatre légions romaines et de quatre d’alliés, c’est-à-dire que les deux consuls réunissaient chacun leur armée. Ainsi ce n’était pas sur le grand nombre d’hommes que se fondaient leurs succès, mais sur la capacité et l’expérience de leurs généraux, sur l’ordre et la discipline observés par leurs troupes, sur l’instruction de leurs soldats, sur leur valeur et leur amour pour la patrie. — Malgré la prévention justement établie sur l’admirable constitution de l’état militaire des Romains, constitution excellente relativement à leur ordre de bataille, je ne pense pas qu’ils soient nos maîtres dans la distribution des parties qui forment un corps. Les Grecs le sont, à juste titre, dans cette partie si essentielle.

Non tam multitudo et virtus indocta, quam ars et exercitium, solent præstare victoriam. « Il est vrai que, tout se trouvant égal d’ailleurs, le plus grand nombre l’emporte nécessairement sur le plus petit. Mais tout ne se trouve jamais égal : la valeur, la force, la vigueur, les armes, le terrain, la position, l’ordonnance, la manœuvre, la connaissance des ennemis, de ses troupes, de soi-même, ce sont autant d’avantages qu’on peut se ménager, et qui sont capables de balancer celui du nombre, de l’emporter même. L’étude raisonnée de tous ces avantages serait également propre à garantir le petit nombre de la crainte, et le grand de la présomption. Voy. les exemples l. III, ch. i. — A l’égard du peu d’utilité et des dangers même d’une valeur mal conduite, on en voit une infinité d’exemples dans l’histoire ancienne et moderne ; mais comme je ne connais rien de plus imposant sur des gens de peu d’expérience que celle de Polybe, aussi m’y bornerai-je au sujet de la guerre des Carthaginois contre les rebelles. « On vit, dit cet excellent historien, d’une manière très-sensible combien une expérience fondée sur la science de commandement l’emporte sur une aveugle et brutale pratique de la guerre. Amilcar tantôt tirait une partie de l’armée rebelle à l’écart, et, comme un habile joueur d’échecs, l’enfermant de tous côtés la mettait eu pièces ; tantôt, faisant semblant d’en vouloir à toute l’armée, il conduisait les uns dans des embuscades qu’ils ne prévoyaient pas, et tombait sur les autres de jour ou de nuit, lorsqu’ils s’y attendaient le moins : aussi cette guerre finit-elle par la destruction totale de l’année rebelle, composée de plus de quarante mille hommes. Il ne s’en sauva pas un seul, etc. »

Nulla enim alia re, etc. Beaucoup de manuscrits et quelques éditions font commencer ici le premier chapitre de Végéce. Ce serait, sans doute, le premier exemple d’un livre commençant par car ; mais il faut laisser le mérite de l’invention au plaisant auteur du Moyen de parvenir. — Quant à ce que dit Végéce dans cette phra» et dans la suivante, Cicéron l’avait dit avant lui, d*uae manière plus générale et plus élevée : « Nous avons beau nous flatter, nous ne l’avons emporté ni sur les par le nombre, ni sur les Gaulois par la force, ni sur les Carthaginois par la ruse, ni sur les Grecs par les arts, ai sur les Latins eux-mêmes et les Italiens par ce sens exquis, vertu du climat sous lequel nous vivons. Maislapiéiét mais la religion, mais surtout celte sagesse qui nous a tnt reconnaître que tout est réglé et gouverné par la puissance des dieux immortels, voilà ce qui nous distingue des autres nations ; c’est à ce titre que nous l’avons emporté cm tous les peuples de l’univers. » ( Orat. de arusp. resp., ch. 9. )

Armorum exercitio, disciplina castrontm, usuque mililiœ. « De ces trois grandes parties, la dernière dépend des événements, les deux premières du général ; c’est proprement lui qui décide du sort d’une nation, en la rendant plus ou moins adroite et disciplinée, ou par la pratique, ou au moins par l’image de la guerre. Aussi notre aatonr, voulant faire sentir toute l’importance de l’exercice et de la discipline, a cru ne pouvoir trop recommander Tune et l’antre à ses lecteurs ; ils excuseront ses répétitions, s’ils sont plus attentifs au fond des choses qu’à la manière de les traiter. »

Adversus Gallorum multitudinem. « On peut juger de la multitude des Gaulois par ce qu’en disent Polybe ( II. I ) et César ( De bell. Gall., II). Deux cent cinquante mille hommes rassemblés à la hâte contre ce dernier, pour lui faire lever le siège d’Alésie, sont une preuve de ce qu’en dit Végéce. Mais ce fut par leur valeur, autant que par la nombre, qu’ils se rendirent redoutables dans tous les temps jusqu’à leur défaite par Camille. Leurs irruptions fréquentes en Italie y avaient porté un tel effroi, qu’en y dâspen