Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/747

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sait les prêtres d’aller à la guerre, à moins que ce ne fût contre les Gaulois. Les levées extraordinaires que Rome fit à leur approche, et leurs fréquentes victoires, ne laissent pas douter de leur réputation. Mais de cette fureur de guerre que la fortune avait soufflée aux Gaulois, selon Polybe (II, 5), les Romains tirèrent deux grands avantages : le premier, de s’aguerrir par de fréquentes défaites ; le second, de se mettre en état, après avoir enfin défait les Gaulois, de réunir toutes les forces de Rome contre Pyrrhus, ensuite contre les Carthaginois. La crainte qu’on y avait des Gaulois subsista longtemps après leur défaite, puisqu’il y avait encore, du temps de César, une somme consacrée pour la guerre contre ces peuples, à laquelle il n’était pas permis de toucher ; et ce général relève en cent endroits leur valeur extraordinaire. Lorsque, subjugués par les Romains, ils les aidèrent à étendre leurs conquêtes, c’était sur eux que les généraux comptaient le plus, Crassus entre autres, qui les vit dans plus d’un combat approcher vivement des Parthes, empoigner leurs épieux, les colleter et les abattre de leurs chevaux. Dans un temps postérieur, la Tactique de l’empereur Léon (XVI, 82) nous représente les Gaulois braves jusqu’à la témérité, sensibles à l’honneur, regardant la fuite et même la retraite comme une chose honteuse, combattant avec adresse et courage à pied et à cheval, mais préférant de combattre à pied et corps à corps. D’où vient donc que des peuples si nombreux et si braves de tout temps ont succombé sous les Romains, moins nombreux de beaucoup, sans être plus braves ? De plusieurs défauts qu’ils ont aussi eus de tout temps ; car les mêmes auteurs qu’on vient de citer nous les peignent mal disciplinés, impatients, peu précautionnés, incapables de soutenir les fatigues, peu susceptibles de ralliement, ne pouvant se retirer sans fuir, se servant d’armes désavantageuses et de mauvaises troupes, toujours incorrigibles sur fous les défauts qui causaient leurs défaites. » — Voy. aussi Ammien Marcellin (l. XXI) et Strabon.

Adversus Germanorum proceritatem. « Pomponius Méla (l. III) vante beaucoup la force et la grande taille des Germains. « Les Gaulois, dit César (De bell. gall. I, 39) ne parlaient que de la haute stature des Germains, de leur incroyable valeur, de leur aspect terrible et menaçant, qui souvent, dans les combats, les avaient glacés d’épouvante. » — Tacite rapporte que « les Germains étaient terribles à voir, mais qu’ils craignaient les blessures. » — Voy. aussi César (Ibid. l. IV) ; Plutarque (Mar.) ; Ammien Marcellin (l. XVI).

Nemo unquam dubitavit. Scrivérius aimait mieux lire : dubitabit, leçon approuvée par Périzonius, mais rejetée par Bessel. On lit dubitat dans un manuscrit.

Profuit tironem solerter eligere. « Végèce traitera dans les chapitres suivants du choix des soldats, choix si essentiel. L’usage de les choisir se soutint à Rome sous les empereurs, puisque Galba, informé que son armée se flattait de tirer par ses murmures des présents de lui, comme elle avait fait de Néron, lui dit « qu’il avait coutume de choisir des soldats, et non de les acheter. »

Quotidiano exercitio roborare. « On trouve dans l’histoire mille preuves de l’extrême attention des généraux romains à exercer leurs soldats ; aussi je me contenterai de citer là-dessus un détail de main de maître. « Scipion, dit Polybe (X, 3), étant dans la Nouvelle-Carthage, partagea ainsi le temps des exercices. Le premier jour, il commanda aux légions de courir en armes l’espace de quatre mille pas ; le second, de fourbir et de nettoyer leurs armes devant leurs tentes ; le troisième, de se reposer et de se divertir ; le quatrième, de combattre avec des épées de bois couvertes de cuir, et au bout desquelles il y avait un bouton, et de lancer des javelots garnis aussi d’un bouton à la pointe ; le cinquième, de recommencer la course du premier jour, etc. » — Il est bon de remarquer que Scipion fut un des généraux romains qui rendit la vie la plus douce aux soldats : aussi Marius poussa-t-il plus loin les exercices ; il y habitua ses soldats jusque dans les marches, leur faisant faire de longues traites et toutes sortes de courses. César ne se contentait pas de faire exercer ses troupes ; il les exerçait lui-même tous les jours en certaines occasions, avec une attention qui prouve combien il le jugeait nécessaire. Malgré le relâchement qui s’introduisit sous les empereurs suivants, plusieurs d’entre eux, ou au moins leurs généraux, reprirent de temps à autre l’habitude des exercices. Tacite rapporte que Corbulon, sous Néron, tenait toujours ses troupes en baleine pendant la paix par des travaux continuels. — L’empereur Probus fit faire beaucoup d’ouvrages par sou armée : « Le soldat ne doit pas manger gratuitement, disait-il, la ration que l’État lui donne. » Adrien, Trajan, Marc-Aurèle, Sévère, Valentinien Ier, se distinguèrent par les ordres qu’ils donnèrent d’exercer et d’occuper continuellement les troupes ; et l’empereur Léon, dans sa Tactique (VII, 18, et XX, 175), ordonne tous les exercices dont traitera Végèce dans le chapitre suivant ; il y ajoute même, à l’exemple de Cyrus, l’exercice des mottes de terre que les soldats, séparés en deux bandes, se jetaient. »

Meditatione. Cette expression est souvent employée par Végèce dans le même sens que exercitatio, exercice militaire (Voy. l, II). Les Grecs disaient aussi μελέτας (Onosand., c. 10).

Severe in desides vindicare. Voy. Polybe (I, 3) ; Polyen (VIII, 24).

Rudis et indocta multitudo exposita semper ad cœdem. « Dès que la frayeur s’est emparée des soldats, disait Cyrus, plus leur nombre est grand, plus leur épouvante est pleine de trouble : ce n’est plus qu’un amas de faux raisonnements ; ce n’est plus qu’une grande assemblée de cœurs lèches et de visages éperdus ; les exhortations n’ont plus d’effet sur eux, soit qu’on veuille leur persuader de marcher courageusement à l’ennemi, soit qu’on tâche de leur faire faire une retraite honnête : en un mot, plus on leur parle de prendre courage, plus ils croient que le danger est inévitable, etc. »

CHAPITRE II.

Les raisons que donne Végèce, que les nations voisines du soleil doivent manquer de hardiesse et de fermeté, sont plus ingénieuses que conformes à l’anatomie et à la saine physique. Le volume de sang qui circule dans les veines d’un Russe, d’un Norwégien et d’un Suédois, est en même quantité que celui qui circule dans les veines d’un Espagnol, d’un Portugais et d’un Africain. Le climat, plus chaud ou plus froid, peut donner à ce sang plus d’activité ou de fluidité ; mais son volume est toujours le même : d’ailleurs il n’est pas surprenant que Végèce fasse dépendre le courage de la quantité plus ou moins considérable de sang ; c’est dans le sang que les anciens le faisaient consister. — Cet auteur accorde aux méridionaux la prudence dont il prive les septentrionaux. À moins que depuis seize siècles les choses n’aient changé, l’expérience semble prouver le contraire. Plus on approche du nord, plus on trouve les peuples réfléchis. L’Allemand est plus grave, plus circonspect que l’Italien ; l’Allemand se bat avec fermeté, mais avec plus de sang-froid. Le courage de ces deux nations est le même ; mais celui de l’Allemand est plus opiniâtre, et celui de l’Italien plus impétueux. — L’abondance de sang qu’il attribue aux septentrionaux s’accorde mieux avec leur flegme et leur prudence qu’avec l’activité qu’il leur suppose ; au lieu que la fermentation du sang des peuples méridionaux, occasionnée par les ardeurs du soleil, doit les rendre moins forts, mais plus vifs et pins ardents. — Ce n’est donc point aux climats qu’il faut avoir attention pour faire des levées de soldats ; mais au caractère des nations, à leur