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l’état de nature de Jean-Jacques et de l’école sentimentale de la fin du XVIIIe siècle.

Est-il besoin de dire que, au sens rigoureux du mot, il ne saurait exister de véritable peuple « nature » ? La civilisation, l’art, apparaissent dans la création avant l’homme : j’en appelle aux castors. Les plus arriérées des peuplades qui pullulent encore dans les quatre parties extra-européennes du monde, sont parvenues, depuis le début des temps quaternaires, antérieurement peut-être, à s’adapter, bien ou mal, à leurs milieux respectifs, à acquérir, ne fût-ce qu’à un faible degré, une puissance intelligente sur leurs instincts et sur la nature, à faire de précieuses conquêtes sur les agents cosmiques, la culture de telle ou telle plante, peut-être la domestication de quelque animal utile, certainement l’usage du feu. Plusieurs d’entre elles jouissent, ainsi l’affirme Wallace de diverses populations de l’archipel Malais, d’un bien-être matériel que pourraient leur envier bon nombre de déshérités de nos villes les plus riches, et des mieux cultivées de nos campagnes. Mais elles arrivaient partout trop tard ; elles s’arrêtaient à des étapes que d’autres avaient franchies avant elles. Dans ce sens, seulement, nous dirons de ces peuples « nature » qu’aucun d’eux n’a apporté une seule pierre à la construction du commun édifice, n’a versé une seule obole au trésor commun de l’humanité. En tous temps, en tous lieux, l’histoire ne fait qu’enregistrer la corvée, souvent sanglante, et pénible toujours, que la génération