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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/137

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PROCÈS ET MORT DE LA PUCELLE

qu’enchaînée à une poutre par une grosse chaîne de fer[1], elle était presque à leur merci ; l’habit d’homme qu’on voulait lui faire quitter était toute sa sauvegarde... Que dire de l’imbécillité du juge ou de son horrible connivence ?

Sous les yeux de ces soldats, parmi leurs insultes et leurs dérisions[2], elle était de plus espionnée du dehors ; Winchester, l’inquisiteur et Gauchon[3] avaient chacun une clef de la tour, et l’observaient à chaque heure ; on avait tout exprès percé la muraille ; dans cet infernal cachot, chaque pierre avait des yeux.

Toute sa consolation, c’est qu’on avait d’abord laissé communiquer avec elle un prêtre qui se disait prisonnier et du parti de Charles VII. Ce Loyseleur, comme on l’appelait, était un Normand qui appartenait aux Anglais. Il avait gagné la confiance de Jeanne, recevait sa confession, et pendant ce temps

  1. « De nuyt, elle estoit couchée ferrée par les jambes de deux paires de fers à chaîne, et attachée moult estroistement d’une chaîne traversante par les pieds de son lie t, tenante à une grosse pièce de boys de longueur de cinq ou six pieds et fermante à clef, par quoi ne pouvoit mouvoir de la place. » (Ibid.) — Un autre témoin dit : « Fuit facta una trabes ferrea, ad detinendam eam erectam. » (Procès ms. de déposition de Pierre Cusquel.)
  2. Le comte de Ligny vint la voir avec un lord anglais, et lui dit : « Jeanne, je viens vous mettre à rançon, pourvu que vous promettiez que vous ne porterez plus les armes contre nous. » Elle répondit : « Ah ! mon Dieu, vous vous moquez de moi ; je sais bien que vous n’en avez ni le vouloir ni le pouvoir. » Et comme il répétait les mêmes paroles, elle ajouta : « Je sais bien que ces Anglais me feront mourir, croyant après ma mort gagner le royaume de France. Mais quand ils seraient cent mille Godden (centurn mille Godons gallice) de plus qu’ils ne sont aujourd’hui, ils ne gagneraient pas le royaume. » Le lord anglais fut si indigné qu’il tira sa dague pour la frapper, et il l’aurait fait sans le comte de Warwick. (Notices des mss.)
  3. Non pas précisément Cauchon, mais son homme, Estivet, promoteur du procès.