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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/164

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HISTOIRE DE FRANCE

pour renvoyer à la mort, ils firent monter deux sergents pour la tirer des mains des prêtres. Au pied du tribunal, elle fut saisie par les hommes d’armes, qui la traînèrent au bourreau, lui disant : « Fais ton office… » Cette furie de soldats fit horreur ; plusieurs des assistants, des juges même, s’enfuirent, pour n’en pas voir davantage.

Quand elle se trouva en bas dans la place, entre ces Anglais qui portaient les mains sur elle, la nature pâtit et la chair se troubla ; elle cria de nouveau : « Rouen, tu seras donc ma dernière demeure !… » Elle n’en dit pas plus, et ne pécha pas par ses lèvres[1], dans ce moment même d’effroi et de trouble…

Elle n’accusa ni son roi ni ses Saintes. Mais parvenue au haut du bûcher, voyant cette grande ville, cette foule immobile et silencieuse, elle ne put s’empêcher de dire : « Ah ! Rouen, Rouen, j’ai grand’peur que tu n’aies à souffrir de ma mort ! » Celle qui avait sauvé le peuple et que le peuple abandonnait n’exprima en mourant (admirable douceur d’âme !) que de la compassion pour lui…

Elle fut liée sous l’écriteau infâme, mitrée d’une mitre où on lisait : « Hérétique, relapse, apostate, ydolastre »… Et alors le bourreau mit le feu… Elle le vit d’en haut et poussa un cri… Puis, comme le frère qui l’exhortait ne faisait pas attention à la flamme, elle eut peur pour lui, s’oubliant elle-même, et elle le fit descendre.

  1. Job.