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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/246

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HISTOIRE DE FRANCE

trouve Alphonse libre et plus fort que jamais ; elle lutte trois ans, se ruine pour racheter son mari et le faire venir. Il ne vient que pour échouer[1].

La vaillante Lorraine n’emmena pas sa fille plus loin que Marseille ; elle la laissa sur ce bord avec son jeune frère, parmi les Provençaux qu’aimait René, qui le lui rendaient bien, et dont l’enthousiasme facile s’animait de l’intrépidité d’Isabelle et de la beauté de ses enfants. La petite Marguerite, Provençale d’adoption, eut pour éducation les périls de sa mère, les haines d’Anjou et d’Aragon ; elle fut nourrie dans ces mouvements dramatiques de guerre et d’intrigues ; elle grandit d’esprit, de passion, au souffle des factions du Midi.

« C’était, dit un chroniqueur anglais et peu ami, c’était une femme de grand esprit, de plus grand orgueil, avide de gloire, d’honneur ; elle ne manquait pas de diligence, de soin, d’application ; elle n’était pas dénuée de l’expérience des affaires. Et parmi tout cela, c’était bien une femme, il y avait en elle une pointe de caprice ; souvent, quand elle était animée et toute à une affaire, le vent changeait, la girouette tournait brusquement[2]. »

Avec cet esprit violent et mobile, elle était très belle. La furie, le démon, comme l’appellent les Anglais, n’en avait pas moins les traits d’un ange[3], au dire du chroniqueur provençal. Même âgée, accablée

  1. App. 105.
  2. « Like to a wethercock, mutable and turning. » (Hall and Grafton.)
  3. On admiroit son fils et sa fille (Marguerite), comme s’ils eussent esté deux anges de divers sexes, descendus du palais céleste. » (Chronique de Provence.)