Aller au contenu

Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poils, formait des glaçons gros comme le poing d’un homme. Les pipes que nous portions sur nous, il fallait les faire dégeler au feu avant de nous en servir. C’est à peine si, auprès d’un foyer, nous pouvions un instant découvrir nos mains. Un doigt nu mis sur le fer s’y attachait, parce que l’humidité qui s’en exhalait se gelait à l’instant. La neige ne fondait qu’autour du feu qui se creusait un trou dans lequel il descendait peu à peu jusqu’à la terre. La vapeur formait des nuages qui, dans les jours les plus purs mais les plus froids nous interceptaient presque la vue du feu. La neige ressemblait à de la poussière. La chaleur de nos pieds ne la faisait pas fondre et, à la fin de la journée, nos mocassins étaient aussi secs que si nous eussions marché dans de la sciure de bois. Les fenêtres de parchemin de notre hutte étaient si petites et si opaques qu’elles nous procuraient à peine assez de lumière pour nos repas et qu’alors nous étions obligés ordinairement de laisser la porte ouverte. Dans ce cas, bien que nous fissions assis à un mètre d’un feu ronflant, que notre foyer fût très-grand et notre chambre fort petite, il se formait une croûte de glace sur le thé, versé bouillant dans nos timbales. L’un des effets de ce froid était de nous donner un insatiable appétit du gras. Bien des fois nous nous mettions à manger, sans pain et sans assaisonnement, de gros morceaux de graisse, même du suif rance dont nous nous servions pour faire des chandelles[1].

Quand nous nous trouvions bien abrités par les bois avec un énorme feu, pétillant à nos pieds, la couchée en plein air nous semblait assez agréable. Pour voyager l’hiver, on ne se sert pas de tentes, parce qu’on ne pourrait pas y allumer de grands feux.

  1. La graisse semble, à tous les points de vue, être le souverain bien pour les Indiens et les métis. Ils s’écrient : « Le beau cheval ! il est aussi gras que possible ! » « Quelle belle femme ! comme elle est grasse ! » et de même pour les hommes, les chiens ou tout autre animal. Effectivement, la graisse a beaucoup d’importance en cette région. C’est la meilleure nourriture en hiver, et les chevaux ni les chiens ne peuvent travailler au froid, s’ils ne sont pas gras. (Éd.)