Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/35

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éblouissant illumina pour un moment la scène sauvage qui nous environnait ; et, presque immédiatement, un épouvantable coup de tonnerre, semblable à l’explosion d’un magasin de poudre, nous arrêta immobiles, silencieux, terrifiés. Un horrible coup de vent balaya la rivière, rompant les grands arbres et les éparpillant comme des brindilles de tous côtés. La pluie qui tomba par flaques nous pénétra jusqu’aux os. À partir de ce moment, les éclairs furent presque incessants, toujours en compagnie des roulements du tonnerre. De temps à autre, une lumière obscure, vacillante, défaillante et bleuâtre, pareille à la flamme d’une lampe remplie d’esprit de vin ou à un feu follet, voltigeait au-dessus de l’eau, mais ne réussissait pas à dissiper la profonde obscurité de la nuit. Elle était accompagnée d’un sifflement effrayant, fort comme celui d’une machine à vapeur et qui suivait le vent, tantôt retentissant à nos oreilles, quand la flamme était prochaine, et tantôt s’éloignant avec elle.

Nous nous trouvions dans le foyer même de la tempête. L’air était surchargé d’électricité, et, selon le changement des vents, le fluide électrique se jouait en passant dans nos cheveux et les hérissait. L’odeur de l’ozone avait tant de force qu’elle nous faisait ronfler et qu’elle nous obligeait à remarquer ce phénomène, parmi les autres plus terribles qui signalaient la tempête. Nous essayâmes de prendre terre tout de suite, mais les ténèbres avaient une telle intensité qu’il nous fut impossible de parvenir à distinguer, pour les éviter, les saillies et les arbres abattus qui encombraient la rive aussi glissante qu’escarpée. La force du courant nous lançait contre ces obstacles, de façon à nous faire comprendre qu’il nous fallait abandonner notre dessein, si nous ne voulions ni être coulés à fond ni voir déchirer les bordages de nos embarcations, presque aussi frêles que du papier. Nous n’aurions eu dans ce cas que bien peu de chances de salut, car la rivière était profonde ; et, même en sup-