Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/198

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L’Ephore qui coupa si rudement les deux cordes que Phrinys auoit adiousté à la musique, ne s’esmoie pas, si elle en vaut mieux, ou si les accords en sont mieux remplis : il luy suffit pour les condamner, que ce soit vne altération de la vieille façon. C’est ce que signifloit cette espee rouillee de la lustice de Marseille. Ie suis desgousté de la nouuelleté, quelque visage qu’elle porte ; et ay raison, car i’en ay veu des effets très-dommageables. Celle qui nous presse depuis tant d’ans, elle n’a pas tout exploicté : mais on peut dire auec apparence, que par accident, elle a tout produict et engendré ; voire et les maux et ruines, qui se font depuis sans elle, et contre elle : c’est à elle à s’en prendre au nez,

Heu patior telis vulnera facta meis !

Ceux qui donnent le branle à vn Estat, sont volontiers les premiers absorbez en sa ruine. Le fruict du trouble ne demeure guère à celuy qui l’a esmeu ; il bat et brouille l’eaue pour d’autres pescheurs. La liaison et contexture de cette monarchie et ce grand bastiment, ayant esté desmis et dissout, notamment sur ses vieux ans par elle, donne tant qu’on veut d’ouuerture et d’entrée à pareilles iniures. La maiesté royalle s’auale plus difficilement du sommet au milieu, qu’elle ne se précipite du milieu à fons. Mais si les inuenteurs sont plus dommageables, les imitateurs sont plus vicieux, de se ietter en des exemples, desquels ils ont senti et puni l’horreur et le mal. Et s’il y a quelque degré d’honneur, mesmes au mal faire, ceux cy doiuent aux autres, la gloire de l’inuention, et le courage du premier effort. Toutes sortes de nouuelle desbauche puysent heureusement en cette première et fœconde source, les images et patrons à troubler nostre police. On lit en nos loix mesmes, faictes pour le remède de ce premier mal, l’apprentissage et l’excuse de toutes sortes de mauuaises entreprises. Et nous adulent ce que Thucydides dit des guerres ciuiles de son temps, qu’en faueur des vices publiques, on les battisoit de mots nouueaux plus doux pour leur excuse, abastardissant et amollissant leurs vrais titres. C’est pourtant, pour reformer nos consciences et nos créances, honesta oratio est.Mais le meilleur prétexte de nouuelleté est tres-dangereux.

Adeô nihil motum ex antiquo probabile est.