Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/288

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I’y feroy pourtraire la ioye, l’allégresse, et Flora, et les Grâces : comme fit en son eschole le philosophe Speusippus. Où est leur profit, que là fust aussi leur esbat. On doit ensucrer les viandes salubres à l’enfant : et enfieller celles qui luy sont nuisibles. C’est merueille combien Platon se montre soigneux en ses loix, de la gayeté et passetemps de la ieunesse de sa cité : et combien il s’arreste à leurs courses, ieux, chansons, saults et danses : desquelles il dit, que l’antiquité a donné la conduitte et le patronnage aux Dieux mesmes, Apollon, aux Muses et Minerue. Il s’estend à mille préceptes pour ses gymnases. Pour les sciences lettrées, il s’y amuse fort peu : et semble ne recommander particulièrement la poésie, que pour la musique.Toute estrangeté et particularité en noz mœurs et conditions est euitable, comme ennemie de société. Qui ne s’estonneroit de la complexion de Demophon, maistre d’hostel d’Alexandre, qui suoit à l’ombre, et trembloit au soleil ? l’en ay veu fuir la senteur des pommes, plus que les harquebuzades ; d’autres s’effrayer pour vue souris : d’autres rendre la gorge à voir de la cresme : d’autres à voir brasser vn lict de plume : comme Germanicus ne pouuoit souffrir ny la veuë ny le chant des cocqs. Il y peut auoir à l’aduanture à cela quelque propriété occulte, mais on l’esteindroit, à mon aduis, qui s’y prendroit de bon’heure. L’institution a gaigné cela sur moy, il est vray que ce n’a point esté sans quelque soing, que sauf la bière, mon appétit est accommodable indifféremment à toutes choses, dequoy on se paist.Le corps est encore souple, on le doit à cette cause plier à toutes façons et coustumes : et pourueu qu’on puisse tenir l’appétit et la volonté soubs boucle, qu’on rende hardiment vn ieune homme commode à toutes nations et compagnies, voire au desreglement et aux excès, si besoing est. Son exercitation suiue l’vsage. Qu’il puisse faire toutes choses, et n’ayme à faire que les bonnes. Les philosophes mesmes ne trouuent pas louable en Callisthenes, d’auoir perdu la bonne grâce du grand Alexandre son maistre, pour n’auoir voulu boire d’autant à luy. Il rira, il follastrera, il se desbauchera auec son Prince. Ie veux qu’en la desbauche mesme, il surpasse en vigueur et en fermeté ses compagnons, et qu’il ne laisse à faire le mal, ny à faute de force ny de