Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/348

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Or ne charge donc rien de ta sœur infidèle,
De Vesere ta sœur : elle va s’escartant
Tousiours flotant mal seure en son cours inconstant.
Voy tu comme à leur gré les vens se ioüent d’elle ?

Et ne te repens point pour droict de ton aisnage
D’auoir des-ia choisi la constance en partage.
Mesme race porta l’amitié souueraine

Des bons iumeaux, desquels l’vn à l’autre despart
Du ciel et de l’enfer la moitié de sa part,
Et l’amour diffamé de la trop belle Heleine.

X

Ie voy bien, ma Dourdouigne encore humble tu vas :
De te monstrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue, on fait ores grand conte,
Si a il bien esté quelquefois aussi bas.

Voys tu le petit Loir comme il haste le pas ?
Comme des-ia parmy les plus grands il se conte ?
Comme il marche hautain d’vne course plus prompte
Tout à costé du Mince, et il ne s’en plaint pas ?

Un seul Oliuier d’Arne enté au bord de Loire,
Le faict courir plus braue et luy donne sa gloire.
Laisse, laisse moy faire. Et vn iour ma Dourdouigne,

Si ie deuine bien, on te cognoistra mieux :
Et Garonne, et le Khone, et ces autres grands Dieux
En auront quelque enuie, et possible vergoigne.

XI

Toy qui oys mes souspirs, ne me sois rigoureux
Si mes larmes apart toutes miennes ie verse.
Si mon amour ne suit en sa douleur diuerse
Du Florentin transi les regrets languoreux,

Ny de Catulle aussi, le folastre amoureux,
Qui le cœur de sa dame en chatouillant luy perce,
Ny le sçauant amour du migregeois Properce
Ils n’ayment pas pour moy, ie n’ayme pas pour eux.

Qui pourra sur autruy ses douleurs limiter,
Celuy pourra d’autruy les plaintes imiter :
Chacun sent son tourment, et sçait ce qu’il endure.