Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Chacun parla d’amour ainsi qu’il l’entendit.
le dis ce que mon cœur, ce que mon mal me dict.
Que celuy ayme peu, qui ayme à la mesure.

XII

Quoy ? qu’est-ce ? ô vens, ô nues, ô l’orage !
À point nommé, quand d’elle m’aprochant
Les bois, les monts, les baisses vois tranchant
Sur moy d’aguest vous poussez vostre rage.

Ores mon cœur s’embrase d’auantage.
Allez, allez faire peur au marchant,
Qui dans la mer les thresors va cherchant :
Ce n’est ainsi, qu’on m’abbat le courage.

Quand i’oy les vents, leur tempeste et leurs cris.
De leur malice, en mon cœur ie me ris.
Me pensent ils pour cela faire rendre ?

Face le ciel du pire, et l’air aussi :
Ie veux, ie veux, et le declaire ainsi
S’il faut mourir, mourir comme Leandre.

XIII

Vous qui aimer encore ne sçauez,
Ores m’oyant parler de mon Leandre,
Ou iamais non, vous y debuez aprendre.
Si rien de bon dans le cœur vous auez.

Il oza bien branlant ses bras lauez,
Armé d’amour, contre l’eau se deffendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre.
Ayant le frère et le mouton sauuez.

Vn soir vaincu par les flos rigoureux,
Voyant des-ia, ce vaillant amoureux.
Que l’eau maistresse à son plaisir le tourne :

Parlant aux flos, leur iecta cette voix :
Pardonnez moy maintenant que i’y veois,
Et gardez moy la mort, quand ie retourne.

XIIII

Ô cœur léger, ô courage mal seur.
Penses-tu plus que souffrir ie te puisse ?
Ô bontez creuze, ô couuerte malice,
Traître beauté, venimeuse douceur.