Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/369

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c’est, d’après Platon, commettre un homicide. Chez certaines nations, notamment chez les Musulmans, avoir des rapports sexuels avec une femme enceinte, est une abomination ; il en est qui réprouvent de même tout rapprochement avec une femme aux époques où, périodiquement, le sang la travaille. — Zénobie n’acceptait pas de relations avec son mari, au delà de ce qui était nécessaire pour donner satisfaction à ses aspirations à la maternité ; cela fait, elle le laissait libre de se distraire avec d’autres, pendant tout le temps de sa grossesse, lui faisant seulement une obligation de revenir à elle quand elle était en état de recommencer ; c’est là un brave et généreux exemple dans le mariage. — Il est probable que c’est à quelque poète sevré et affamé de ces jouissances, que Platon emprunte cette narration : Jupiter, un jour, était en un tel état de surexcitation auprès de sa femme que, n’ayant pas la patience d’attendre qu’elle eût gagné sa couche, il la renversa sur le plancher et, dans la violence du plaisir, oublia les grandes et importantes résolutions qu’il venait, en sa cour céleste, de prendre de concert avec les autres dieux ; et se vantait que ce rapprochement lui avait procuré des sensations aussi agréables que celles qu’il avait ressenties lorsque, la première fois, il lui avait, en cachette de leurs parents, pris sa virginité.

Les rois de Perse admettaient leurs femmes à leur tenir compagnie à leurs festins ; mais quand le vin commençait visiblement à échauffer les têtes, qu’ils ne pouvaient plus contenir leurs désirs voluptueux, ils les renvoyaient dans leurs appartements privés, pour qu’elles ne participassent pas à leurs appétits immodérés, et faisaient venir à leur place des courtisanes vis-à-vis desquelles ils n’étaient pas tenus à avoir le même respect. Certaines gens ne peuvent convenablement se permettre tous les plaisirs et recevoir toutes les satisfactions quelle qu’en soit la nature : Épaminondas avait fait incarcérer un jeune débauché ; Pélopidas lui demanda de le mettre en liberté en sa faveur. Épaminondas refusa et l’accorda à sa maîtresse qui, elle aussi, l’en avait prié, disant que « c’était une satisfaction due à une amie et non à un capitaine ». — Sophocle étant préteur avec Périclès pour collègue, lui fit en voyant par hasard passer un beau garçon : « Oh, le beau garçon que voilà ! » — « Une telle exclamation serait permise, dit Périclès, à tout autre qu’à un préteur qui doit être chaste, non seulement dans ses actions, mais aussi dans ses regards. » — L’empereur Ælius Verus répondit à sa femme qui se plaignait de ce qu’il la délaissait pour aller faire l’amour avec d’autres femmes, que « c’était par conscience, le mariage étant un acte honorable et digne et non de folâtre et lascive concupiscence ». — Notre histoire ecclésiastique a conservé et honoré la mémoire de cette femme qui répudia son mari, ne voulant ni se prêter à ses attouchements trop irrespectueux et immoraux, ni les souffrir. En somme, il n’y a si légitime volupté dont l’excès et l’intempérance ne soient blâmables ; mais à parler sans feinte, l’homme n’est-il pas un être bien malheureux ? C’est à