Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/398

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qui nous content des fables, comme Alchymistes, Prognostiqueurs, Iudiciaires, Chiromantiens, Médecins, id genus omne. Ausquels ie ioindrois volontiers, si i’osois, vn tas de gens, interprètes et contrerolleurs ordinaires des dessains de Dieu, faisans estât de trouuer les causes de chasque accident, et de veoir dans les secrets de la volonté diuine, les motifs incompréhensibles de ses œuures. Et quoy que la variété et discordance continuelle des euenemens, les reiette de coin en coin, et d’Orient en Occident, ils ne laissent de suiure pourtant leur esteuf, et de mesme creon peindre le blanc et le noir. En vne nation Indienne il y a cette loüable obseruance, quand il leur mes-aduient en quelque rencontre ou bataille, ils en demandent publiquement pardon au Soleil, qui est leur Dieu, comme d’vne action iniuste : rapportant leur heur ou malheur à la raison diuine, et luy submettant leur iugement et discours. Suffit à vn Chrestien croire toutes choses venir de Dieu ; les receuoir auec recognoissance de sa diuine et inscrutable sapiençe : pourtant les prendre en bonne part, en quelque visage qu’elles luy soient enuoyees. Mais ie trouue mauuais ce que ie voy en vsage, de chercher à fermir et appuyer nostre religion par la prospérité de nos entreprises. Nostre créance a assez d’autres fondemens, sans l’authoriser par les euenemens. Car le peuple accoustumé à ces argumens plausibles, et proprement de son goust, il est danger, quand les euenemens viennent à leur tour contraires et des-auantageux, qu’il en esbranle sa foi. Comme aux guerres où nous sommes pour la Religion, ceux qui eurent l’auantage au rencontre de la Roche-labeille, faisans grand teste de cet accident, et se seruans de cette fortune, pour certaine approbation de leur party : quand ils viennent après à excuser leurs defortunes de Mont-contour et de Iarnac, sur ce que ce sont verges et chastiemens paternels, s’ils n’ont vn peuple du tout à leur mercy, ils luy font assez aisément sentir que c’est prendre d’vn sac deux moultures, et de mesme bouche souffler le chaud et le froid. Il vaudroit mieux l’entretenir des vrays fondemens de la vérité. C’est une belle bataille nauale qui s’est gaignee ces mois passez contre les Turcs, sous la conduite de dom loan d’Austria : mais il a bien pieu à Dieu en faire autres fois voir d’autres telles à nos despens. Somme, il est mal-aisé de ramener les choses diuines à nostre balance, qu’elles n’y souffrent du deschet. Et qui voudroit rendre raison de ce que Arrius et Léon