Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/516

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lors Cyneas, dictes moy, à quoy il tient que vous ne soyez des à présent, si vous voulez, en cet estât ? Pourquoy ne vous logez vous des cette heure, où vous dites aspirer, et vous espargnez tant de trauail et de hazard, que vous iettez entre deux ?

Nimirum quia non bene norat quæ esset habendi
Finis, et omnino quoad crescat vera voluptas.

Ie m’en vais clorre ce pas par vn verset ancien, que ie trouue singulièrement beau à ce propos :

Mores cuique sui fingunt fortunam.

CHAPITRE XLIII.

Des lois somptuaires.


La façon dequoy nos loix essayent à régler les foles et vaines despences des tables, et vestemens, semble estre contraire à sa fin. Le vray moyen, ce seroit d’engendrer aux hommes le mespris de l’or et de la soye, comme de choses vaines et inutiles : et nous leur augmentons l’honneur et le prix, qui est vne bien inepte façon pour en dégouster les hommes. Car dire ainsi. Qu’il n’y aura que les Princes qui mangent du turbot, qui puissent porter du velours et de la tresse d’or, et l’interdire au peuple, qu’est-ce autre chose que mettre en crédit ces choses là, et faire croistre l’enuie à chacun d’en vser ? Que les Roys quittent hardiment ces marques de grandeur, ils en ont assez d’autres ; tels excez sont plus excusables à tout autre qu’à vn Prince. Par l’exemple de plusieurs nations, nous pouuons apprendre assez de meilleures façons de nous distinguer extérieurement, et nos degrez (ce que i’estime à la vérité, estre bien requis en vn Estat) sans nourrir pour cet effect, cette corruption et incommodité si apparente.C’est merueille comme la coustume en ces choses indifférentes plante aisément et soudain le pied de son authorité. À peine fusmes nous vn an, pour le dueil du Roy Henry second, à porter du drap à la Cour, il est certain que dcsia à l’opinion d’vn chacun, les soyes estoient venuës à telle vilité, que si vous en voyiez quelqu’vn vestu, vous en faisiez incon-