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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/559

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les Gascons possédaient des chevaux terribles qui, lancés au galop, avaient l’habitude de faire-volte face sans s’arrêter, ce dont étaient émerveillés les Français, les Picards, les Flamands et les Brabançons, « qui n’y étaient pas accoutumés » ; ce sont ses propres expressions. — César, parlant des Suèves, dit : « Dans les rencontres à cheval, ils sautent souvent à terre et combattent à pied ; leurs chevaux sont habitués à ne pas bouger, en pareil cas, de la place où ils ont mis pied à terre, et, si besoin en est, ils s’y portent promptement et les remontent. Il n’est rien, à leurs yeux, de moins honorable et de si efféminé que de faire usage de selles et de bâts, et ils méprisent ceux qui y ont recours. Grâce à ce mode, ils ne craignent pas, même lorsqu’ils ne sont que quelques-uns, d’attaquer un ennemi supérieur en nombre. » — J’ai fort admiré jadis un cheval dressé de telle sorte que, la bride sur le cou, avec une baguette on lui faisait faire tout ce qu’on voulait. Les Massiliens en agissaient ainsi : « Les Massiliens, montant leurs chevaux à nu et ignorants du frein, les dirigent avec une baguette (Lucain). » « Les Numides conduisent leurs chevaux sans frein (Virgile). » « Dépourvus de frein, leurs chevaux ont l’allure désagréable, le cou raide et la tête portée en avant (Tite-Live). »

Dans certains pays les mules et mulets sont considérés comme des montures déshonorantes, dans d’autres comme fort honorables. — Le roi Alphonse, celui qui institua en Espagne l’ordre des Chevaliers de la Bande ou de l’Écharpe, leur imposa entre autres règles de ne monter ni mule, ni mulet, sous peine d’une amende d’un marc d’argent. Cela est consigné dans les lettres de Guevara, lettres que quelques-uns ont qualifiées de dorées, ce qui tient à ce qu’ils les appréciaient beaucoup plus que je ne le fais. On lit dans le « Courtisan » que, dans les temps peu éloignés de celui où cet ouvrage parut, chevaucher sur une mule n’était pas chose admise pour un gentilhomme. — Au contraire, chez les Abyssins, plus leur rang les rapproche du Prêtre-Jean, qui est leur souverain, plus ils tiennent à honneur, et c’est une marque de dignité, de monter de grandes mules.

Comment en usaient les Assyriens avec leurs chevaux. — Xénophon raconte que les Assyriens tenaient toujours en station leurs chevaux entravés, tant ils étaient difficiles et farouches, et qu’il leur fallait tant de temps pour les détacher et les harnacher, que pour qu’il n’en résultât pas d’inconvénients s’ils venaient, à ce moment où ils étaient en un certain désordre, à être attaqués à l’improviste par l’ennemi, ils ne campaient jamais sans entourer leur camp de fossés et de palissades. Son Cyrus, si expert en tout ce qui touche les chevaux, n’accordait de repos aux siens et ne leur faisait donner à manger qu’après le leur avoir fait gagner par quelque exercice les ayant mis en sueur.

Dans des cas de nécessité, les chevaux ont servi à nourrir les hommes. — Les Scythes, quand en guerre la nécessité les y obligeait, saignaient leurs chevaux et s’abreuvaient et se