Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/586

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qui sont hors de nous, que nous l’employissions à nous sonder nous mesmes, nous sentirions aisément combien toute cette nostre contexture est bastie de pièces foibles et défaillantes. N’est-ce pas vn singulier tesmoignage d’imperfection, ne pouuoir r’assoir nostre contentement en aucune chose, et que par désir mesme et imagination il soit hors de nostre puissance de choisir ce qu’il nous faut ? Dequoy porte bon tesmoignage cette grande dispute, qui a tousiours esté entre les Philosophes, pour trouuer le souuerain bien de l’homme, et qui dure encores et durera éternellement, sans resolution et sans accord.

Dum abest quod auemus, id exsuperare videtur
Cætera ; post aliud, cùm contigit, illud auemus.
Et sitis æqua tenet.

Quoy que ce soit qui tombe en nostre connoissance et iouïssance, nous sentons qu’il ne nous satisfait pas, et allons béant après les choses aduenir et inconnues, d’autant que les présentes ne nous soûlent point. Non pas à mon aduis qu’elles n’ayent assez dequoy nous soûler, mais c’est que nous les saisissons d’vne prise malade et desreglée.

Nam cûm vîdit hic ad vsum quæ flagitat vsus,
Omnin iam fermé mortalibus esse parata ;
Diuitiis homines et honore et laude patentes
Affluere, atque bona natorum excellere fama ;
Nec minus esse domi, cuiquam tamen anxia corda,
Atque animum infestis cogi seruire querelis :
Intellexit ibi vitium vas facere ipsum,
Omniàque, illius vitio, corrumpier intus
Quæ collata foris et commoda quæque venirent.

Nostre appétit est irrésolu et incertain : il ne sçait rien tenir, ny rien iouyr de bonne façon. L’homme estimant que ce soit le vice de ces choses qu’il tient, se remplit et se paist d’autres choses qu’il ne sçait point, et qu’il ne cognoist point, où il applique ses désirs et ses espérances, les prend en honneur et reuerence : comme dit Cæsar, Communi fit vitio naturæ, vt inuisis, latitantibus atque incognitis rebus magis confidamus, vehementiùsque exterreamur.

CHAPITRE LIIII.

Des vaines subtilitez.


Il est de ces subtilitez friuoles et vaines, par le moyen desquelles les hommes cerchent quelquefois de la recommandation : comme les poètes, qui font des ouurages entiers de vers commençans par