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Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/133

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LETTRE liv.

Rica à Usbek.
À ***.


J’étois ce matin dans ma chambre, laquelle, comme tu sais, n’est séparée des autres que par une cloison fort mince, et percée en plusieurs endroits ; de manière qu’on entend tout ce qui se dit dans la chambre voisine. Un homme, qui se promenoit à grands pas, disoit à un autre : Je ne sais ce que c’est, mais tout tourne contre moi ; il y a plus de trois jours que je n’ai rien dit qui m’ait fait honneur ; et je me suis trouvé confondu pêle-mêle dans toutes les conversations, sans qu’on ait fait la moindre attention à moi, et qu’on m’ait deux fois adressé la parole. J’avois préparé quelques saillies pour relever mon discours ; jamais on n’a voulu souffrir que je les fisse venir : J’avois un conte fort joli à faire ; mais, à mesure que j’ai voulu l’approcher, on l’a esquivé comme si on l’avoit fait exprès : J’ai quelques bons mots, qui, depuis quatre jours, vieillissent dans ma tête, sans que j’en aie pu faire le moindre usage. Si cela continue, je crois qu’à la fin je serai un sot : il semble que ce soit mon étoile, et que je ne puisse m’en dispenser. Hier, j’avois espéré de briller avec trois ou quatre vieilles femmes qui certainement ne m’en imposent point, et je devois dire les plus jolies choses du monde : je fus plus d’un quart d’heure à diriger ma conversation ; mais elles ne