Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/139

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Elles veulent ruiner leurs maris ; et pour y parvenir, elles ont des moyens pour tous les âges, depuis la plus tendre jeunesse jusque’à la vieillesse la plus décrépite : les habits et les équipages commencent le dérangement, la coquetterie l’augmente, le jeu l’achève.

J’ai vu souvent neuf ou dix femmes, ou plutôt neuf ou dix siècles, rangées autour d’une table ; je les ai vues dans leurs espérances, dans leurs craintes, dans leurs joies, surtout dans leurs fureurs : tu aurois dit qu’elles n’auroient jamais le temps de s’apaiser, et que la vie alloit les quitter avant leur désespoir ; tu aurois été en doute si ceux qu’elles payoient étoient leurs créanciers ou leurs légataires.

Il semble que notre saint prophète ait eu principalement en vue de nous priver de tout ce qui peut troubler notre raison : il nous a interdit l’usage du vin, qui la tient ensevelie ; il nous a, par un précepte exprès, défendu les jeux de hasard ; et quand il lui a été impossible d’ôter la cause des passions, il les a amorties. L’amour, parmi nous, ne porte ni trouble ni fureur : c’est une passion languissante, qui laisse notre âme dans le calme ; la pluralité des femmes nous sauve de leur empire ; elle tempère la violence de nos désirs.

À Paris, le 10 de la lune de Zilhagé, 1714.