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Page:Montesquieu - Lettres persanes I, 1873.djvu/140

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LETTRE lvii.

Usbek à Rhédi.
À Venise.


Les libertins entretiennent ici un nombre infini de filles de joie ; et les dévots, un nombre innombrable de dervis. Ces dervis font trois vœux, d’obéissance, de pauvreté et de chasteté. On dit que le premier est le mieux observé de tous ; quant au second, je te réponds qu’il ne l’est point ; je te laisse à juger du troisième.

Mais, quelques riches que soient ces dervis, ils ne quittent jamais la qualité de pauvres ; notre glorieux sultan renonceroit plutôt à ses magnifiques et sublimes titres : ils ont raison ; car ce titre de pauvre les empêche de l’être.

Les médecins et quelques-uns de ces dervis qu’on appelle confesseurs sont toujours ici ou trop estimés ou trop méprisés ; cependant on dit que les héritiers s’accommodent mieux des médecins que des confesseurs.

Je fus l’autre jour dans un couvent de ces dervis ; Un d’entre eux, vénérable par ses cheveux blancs, m’accueillit fort honnêtement ; et, après m’avoir fait voir toute la maison, il me mena dans le jardin, où nous nous mîmes à discourir. Mon père, lui dis-je, quel emploi avez-vous dans la communauté ? Monsieur, me répondit-il avec un air très content de ma question, je suis casuiste. Casuiste ? repris-je : depuis que