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penchant de la nature ? Ô Troglodytes ! je suis à la fin de mes jours, mon sang est glacé dans mes veines, je vais bientôt revoir vos sacrés aïeux : pourquoi voulez-vous que je les afflige, et que je sois obligé de leur dire que je vous ai laissés sous un autre joug que celui de la vertu ?

D’Erzeron, le 10 de la lune de Gemmadi 2, 1711.


LETTRE XV.

LE PREMIER EUNUQUE À JARON,
EUNUQUE NOIR.
À Erzeron.


Je prie le Ciel qu’il te ramène dans ces lieux, et te dérobe à tous les dangers.

Quoique je n’aie guère jamais connu cet engagement qu’on appelle amitié, et que je me sois enveloppé tout entier dans moi-même, tu m’as cependant fait sentir que j’avois encore un cœur ; et, pendant que j’étois de bronze pour tous ces esclaves qui vivoient sous mes lois, je voyois croître ton enfance avec plaisir.

Le temps vint où mon maître jeta sur toi les yeux. Il s’en falloit bien que la nature eût encore parlé, lorsque le fer te sépara de la nature. Je ne te dirai point si je te plaignis, ou si je sentis du plaisir à te voir élevé jusqu’à moi. J’apaisai tes pleurs et tes cris. Je crus te voir prendre une seconde naissance, et sortir d’une servitude