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ET SES AMIS

légataire universelle, au règlement de la succession de feu son mari.[1]

Des écrivains hostiles à Frontenac insinuent, pour expliquer ce rapprochement amical du mari et de la femme, que l’éloignement du gouverneur avait paru lui faire oublier, du moins en partie, les torts qu’elle croyait avoir à lui reprocher ! Pour ceux-là, les douze cents lieues qui les séparaient donnent encore la mesure de cette distance où se maintenait leur mutuelle antipathie de caractère. Mais cette comparaison n’est juste qu’en autant que cette antipathie est prouvée. Ce que je tiens pour très difficile à établir, particulièrement depuis la publication du bel ouvrage de M. Henri Lorin, Le Comte de Frontenac, étude couronnée par l’Académie des sciences morales et politiques.

On sait le tempérament passionné de Madame de Frontenac et l’acuité de sa nature essentiellement impressionnable. Comment imaginer, et surtout comment croire, que la séduisante comtesse n’ait pas été séduite à son tour par le prestige militaire du héros dont elle portait le nom et qui venait de remporter à Québec une victoire d’une telle splendeur que le rayonnement en rejaillissait même sur le trône de France. En effet, Louis XIV, enthousiasmé, fit frapper à son effigie une médaille commémorative de ce glorieux fait d’armes. Ce que Jérusalem délivrée avait été pour l’histoire des Croisades, Kebeca liberata le devint pour l’histoire du royaume. Une admiration mutuelle — l’orgueil du nom — rapprocha ces deux cœurs que l’amour aurait dû retenir ensemble, et qui devaient, hélas ! mourir comme ils avaient vécu, séparés par un espace immense, mais unis, cette fois enfin,

  1. Ce document, le seul que nous eussions de l’écriture de Madame de Frontenac, est disparu du Bureau des Archives de la rue Ste-Anne. Comme bien d’autres précieux papiers, il aura été volé par un de ces kléptomanes-amateurs connus sous le nom de collectionneurs d’autographes.
    Cf : L’Enseignement Primaire, livraison de décembre 1898, no 4, pp. 211 et 212. — Madame de Frontenac, par M. l’abbé H. R. Casgrain.