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PRÉFACE

geurs, aux vieillards silencieux, aux artisans, aux érudits, aux cœurs simples, aux intelligences d’élite, à toutes les conditions comme à tous les âges de la vie, ils parlent un langage merveilleux. Leur joie exubérante se tempère cependant, pour la plupart des auditeurs, par cette mélancolie sereine qui existe à entendre chanter, tous les ans, une même mélodie, dans une même église, à la même date et à la même heure : au minuit solennel et mystérieux de Noël.

Par un excès de sensibilité où il entre beaucoup moins d’imagination qu’on ne pense, nous prêtons un cœur et une âme aux orgues de nos cathédrales et aux échos de leurs sanctuaires. Nous en faisons des êtres conscients qui reconnaissent comme nous-mêmes, et avec une égale intensité d’émotion, les mélodies qu’ils chantent sur les claviers ou dans les voûtes. Ils semblent doués de mémoire, se rappeler véritablement leurs accords, comme nous les notes et les paroles des cantiques, partager enfin notre propre enthousiasme : les instruments ont des effets de sonorité et d’harmonie trop magnifiques pour n’être pas intelligents. Et alors il se produit un phénomène étrange, un cas étonnant de télépathie. Sous l’empire de cette hallucination irrésistible, nous croyons fermement reconnaître, en écoutant ces Noëls anciens de la Nouvelle-France, les voix de nos premiers ancêtres, de nos grands aïeux, — Français-canadiens du dix-septième siècle, Canadiens-français du dix-huitième, — accourus à l’appel des refrains populaires et appuyant de leurs masses chorales tout l’effort de nos maîtrises modernes.

Cette illusion de notre cœur est un parfait délice pour notre esprit qu’elle fascine à son tour et qui la continue, l’éternise, la poursuit plus loin que l’Arabe, au désert, un mirage de palmiers ou d’eaux vives. Nous les écoutons encore, ces voix idéales, longtemps après qu’elles se sont tues.

Une seule demeure cependant, qui nous éveille de ce rêve inoubliable ; son accent est si doux, son timbre est à ce point harmonieux que nous passons sans secousse,