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NOËLS ANCIENS

vaudeville, absolument distingué, sur lequel Pellegrin chantait au dix-huitième siècle : Cher Enfant qui viens de naître. Où donc repose le secret de cette puissance fascinatrice, captivante, enchanteresse, de cet irrésistible attrait qui émeut, chez nous, Canadiens-français, les cœurs les plus froids, les âmes les moins vibrantes ?

Je réponds sans hésiter : dans les effets sympathiques que cet air même exerce.

À l’époque où les régiments suisses étaient à la solde de la France, les bouviers de l’Helvétie jouaient sur leurs cornemuses une pastorale célèbre, le fameux Ranz des vaches. On fut obligé de la défendre — et cela sous peine de mort — aux musiques militaires, précisément à cause des effets sympathiques de cette mélodie sur les soldats qu’elle rendait fous de nostalgie. Aussi désertaient-ils immanquablement, ou se flambaient-ils la cervelle.

Or, amis lecteurs, avez-vous jamais réfléchi aux effets sympathiques du noël-cantique Dans cette étable ? Il nous hypnotise à notre insu, malgré que nous ayons le bonheur de vivre au pays ; concevez alors sa puissance d’attraction sur ceux-là des nôtres qui l’ont quitté ! Voulez-vous, avec moi, éprouver la force latente, incompressible, de ce sentiment ? Faites, à titre d’expérience psychologique, faites chanter ce cantique ou cette chanson de La claire fontaine par des compatriotes exilés aux États-Unis, aux groupes de Boston, de Lowell, de Fall-River, à tous nos frères proscrits de la Nouvelle-Angleterre. Reconstituez la scène, moins avec l’essor d’une imagination ardente, qu’avec l’émotion sincère d’un cœur aimant. Écoutez chanter cette femme, revenue de la filature, et qui se repose de son affreux labeur en endormant sur ses genoux sa petite fille, une malheureuse comme sa mère, et qui ne verra s’ouvrir devant elle, pour tout avenir, qu’une porte basse de fabrique. Cette voix exténuée de fatigue, rauque, sèche de toute la fine et mortelle poussière de coton respirée pendant douze heures, râle plutôt qu’elle ne fredonne les strophes du vieux cantique Dans cette étable. Cette complainte, et