c’en est une véritable, écoutée de la sorte vous semblera intolérable de tristesse.
Et cependant, elle est encore plus angoissante cette autre voix de puddleur ou de briquetier, revenu de sa fournaise métallurgique ou d’un soleil tropical, anéanti de chaleur et de travail, et qui chante cependant. Oui, elle chante, cette voix d’ouvrier, beaucoup moins pour réjouir le cœur qui n’en peut mais, que pour tromper l’horreur de sa solitude, combattre l’affolement du désespoir qui le gagne, l’envahit, l’entraîne comme un vertige.
À la claire fontaine
M’en allant promener…
Cette voix fait mal à entendre et la chanson bat de l’aile, comme un oiseau blessé. Son rythme, alerte et gai, s’est tout à coup ralenti, la mesure traîne, boite, comme épuisée d’une trop longue course ; à son insu la voix s’est mise à chanter les notes en mineur ; ce mode va mieux à son inconsolable deuil.
Cet ouvrier, cette ouvrière, esclaves à vie de ce tyran-femelle, de cette marâtre qui se nomme, en toutes langues et en tous pays, la Manufacture, qui sanglotent ensemble plutôt qu’ils ne chantent ce doux cantique et cette vive chanson, viennent tous deux du Canada où ils retournent par une pensée crucifiée d’indicibles regrets, car ils se voient trop pauvres pour y reporter jamais leurs foyers et leurs familles.
Je laisse à ceux-là qui me lisent le soin de compléter ce sinistre tableau dont je n’esquisse ici que les grandes ombres.
Écoutez. Mais, au préalable, cachez-vous bien pour les entendre. Faites en sorte qu’ils ne vous sachent point là : autrement la voix leur manquerait de douleur et de honte s’ils vous surprenaient à les regarder pleurer ainsi, vous, leurs compatriotes. Et n’applaudissez pas s’ils ont le courage de chanter jusqu’au bout du noël et