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NOËLS ANCIENS

titre même de la chanson. Cette découverte m’a laissé froid, et pour cause. J’ai été lent à me remettre de ce coup de surprise et j’en subis encore l’étourdissement. Tout, en effet, conspirait à me maintenir dans l’illusion de croire que cette mélodie appartenait à Mozart, car elle est véritablement écrite dans son style.[1] Sans doute, ce petit fait, isolé de tout autre renseignement corroborant, ne suffit pas à prouver que Nägeli soit positivement l’auteur de l’ariette en question. Il faut bien admettre cependant qu’il crée en sa faveur une présomption très forte. N’oublions pas — et cette observation a sa valeur — que Jean-Martin Usteri, le poète, et Jean-George Nägeli, le musicien, étaient non seulement compatriotes mais encore concitoyens. Tous deux sont nés à Zurich et tous deux y sont morts. N’est-il pas naturel de penser que Nägeli choisit de préférence les vers d’Usteri pour thèmes de ses compositions ? la littérature de ses nationaux lui offrant des sujets tout prêts et à portée de la main. D’ailleurs, les œuvres de Mozart sont trop universellement connues, trop religieusement recueillies, en Allemagne surtout, pour croire qu’un éditeur allemand commit l’inexcusable bévue de méconnaître un air classique de Mozart. Je dis air classique, j’oserais même écrire air national, car véritablement Freu’t euch des Lebens est à l’Allemagne ce qu’Auld Lang Syne est à l’Écosse : la chanson par excellence de la concorde et de l’amitié.

Que nous importe, en fin finale, pour me servir de l’énergique pléonasme de saint François de Sales, que nous importe que la musique du Freu’t euch des Lebens soit de Mozart ou de Nägeli ? Sa valeur réelle, intrinsèque, en sera-t-elle, pour cela, accrue ou diminuée ? Ne demeure-t-elle pas absolument la même ? Qu’entraîne cette dispute sur l’identification de son auteur ? Son rythme en sera-t-il moins franc, sa mélodie moins colorée, son refrain moins alerte, et son couplet moins gai ?

  1. Un autre motif d’opéra du même auteur, Che soave zefiretto des Nozze di Figaro, rappelle immédiatement l’air du Freu’t euch des Lebens et lui ressemble de fort près par la coupe rythmique.