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NOËLS ANCIENS

Au lendemain de la guerre franco-prussienne, un vieux curé alsacien vint à Paris solliciter des aumônes pour acheter une cloche à l’église d’un petit village, tout voisin de Strasbourg. Un matin, au cours de ses pérégrinations multiples, le bon prêtre rencontra sur le boulevard un de ses paroissiens qui, fort étonné de le trouver là, lui demanda à brûle-pourpoint ce qu’il y venait faire. Le vieillard lui exposa candidement l’objet de ses démarches. Stupéfaction du villageois — « Une cloche, acheter une cloche ! mais oubliez-vous, M. le curé, que les Allemands viennent de nous en donner une superbe, flambante neuve, et qui vaut, elle seule, tout un carillon ? » — « Mon ami, pour parler de la sorte vous ignorez ce que je sais depuis huit jours. Cette cloche-là a été fondue avec le bronze des canons français livrés à Metz ; les Prussiens me l’ont dit eux-mêmes. Le lendemain, je me suis mis en route, car maintenant il faut qu’elle parte ou que je meure : je pleure trop aujourd’hui quand je l’entends sonner ! »

Cette noble action d’un noble cœur émeut au possible. Mais l’attendrissante sensibilité de cette âme d’élite, vibrant au diapason le plus élevé du patriotisme, soutiendra-t-elle jamais la comparaison avec le stoïque courage de nos ancêtres, dévorant, pendant trente années, les larmes les plus amères qu’un œil humain puisse verser, et trouvant je ne sais où, dans un sublime élan d’héroïsme, la force de chanter les noëls anciens de la vieille France ? Israël captif, en présence de l’Euphrate qui lui rappelait le souvenir du Jourdain, suspendait ses lyres et ses cithares aux arbres du rivage et refusait à son vainqueur de lui apprendre les hymnes de Sion. Quomodo cantabimus canticum Domini in terra aliena ? Le Canada français, devenu anglais malgré lui, chante haut et ferme devant ses maîtres qui n’osent pas lui imposer silence. Il chante pour ses enfants et les enfants de leurs enfants afin qu’ils n’oublient pas ces cantiques religieux au rythme desquels la première mère-patrie endormait leurs berceaux, éveillait leurs jeunes âmes, et que de la sorte ce répertoire de mélodies nationales se transmette, comme