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NOËLS ANCIENS

« Et voilà que du fond de ces draperies noires où s’en allait mourir le bruit des chansons — car nous étions gais à notre manière, — une façon hystérique de chanter les chansons d’Anacréon, qui ne sont que folies — et de boire largement, quoique la pourpre du vin nous rappelât la pourpre du sang — voilà, dis-je, que s’éleva du fond de ces draperies une ombre sombre, indéfinie, — une ombre semblable à celle que la lune, quand elle est basse dans le ciel, peut dessiner d’après le corps d’un homme. Mais ce n’était l’ombre ni d’un homme, ni d’un dieu, ni d’aucun être connu. Frissonnant un instant parmi les tentures, elle resta enfin visible et droite, sur la surface de la porte d’airain.

« Mais nous, les sept compagnons, ayant vu l’ombre, comme elle sortait des draperies, nous n’osions pas la contempler fixement ; nous baissions les yeux, et nous regardions toujours dans les profondeurs du miroir d’ébène. Et, à la longue, moi, Oinos, je me hasardai à prononcer quelques mots à voix basse, et je demandai à l’ombre sa demeure et son nom. Et l’ombre répondit :

— Je suis Ombre, et ma demeure est à côté des Catacombes de Ptolémaïs !

« Et alors, tous les sept nous nous dressâmes d’horreur sur nos sièges, et nous nous tenions tremblants, frissonnants, effarés ; car le timbre de la voix de l’Ombre n’était pas le timbre d’un seul individu, mais d’une multitude d’êtres ; et cette voix, variant ses inflexions de syllabe en syllabe, tombait confusément dans nos oreilles en imitant les accents connus et familiers de mille et mille amis disparus ! »

Voulez-vous maintenant, lecteurs, par un de ces merveilleux coups de baquette magique que frappe, au caprice de notre volonté, la Fée Imagination, voulez-vous, instantanément, transformer en un paroxysme de joie ce paroxysme d’épouvante ?

Opérez, comme au théâtre, un changement à vue de décors et de personnages, remplacez le palais fantaisiste d’Edgar Poe par l’église centenaire de nos paroisses ; les tentures funèbres de la salle du banquet par les feux