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NOELS ANCIENS

plus qu’elle n’assura l’avenir musical de cette messe, la première écrite au Canada.

Et cependant, cette fougue, cette recrudescence d’activité dévorante grandissent à mes yeux le personnage de l’abbé Perrault, l’élèvent bien au-dessus de lui-même, donnent à son talent un caractère d’héroïsme qui le consacre mieux que les plus beaux triomphes artistiques. Quels étaient donc la raison de cette hâte fébrile, le stimulant de cette ardeur haletante ? Vous soupçonnez quelque ambition secrète au fond de ce surmenage, un besoin de gloriole inavouée ? Erreur profonde. Seul, l’effroyable aiguillon de la mort le talonne et le presse. Chez tout autre, cette pensée du cercueil béant eût glacé l’inspiration, tué la muse. Mais la venue prochaine de la terrible visiteuse, qui s’annonçait par d’irrécusables pronostics, n’émut pas le saint prêtre. Il la regardait approcher, impassible comme Mozart, distrait comme lui peut-être, et rythmant au bruit de ses pas les sereines mélodies qui chantaient dans son âme. Il mesura seulement la distance probable qui le séparait d’elle, et lui compara froidement le temps nécessaire à parachever son travail. Ce n’était plus qu’une question de vitesse, une sinistre course au clocher. L’abbé Perrault arriva bon premier en apparence, mais, en réalité, serré de très près. La vérité, c’est que la mort l’atteignit beaucoup plus tôt qu’à la date de son décès (22 août 1866) : cette belle intelligence sombra avant le corps, et s’éteignit dans les ténèbres d’un ramollissement cérébral.

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