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la tempête


« Je règne sur l’active et chancelante vie
« Comme un tigre onduleux, aux prunelles ravies ;
« L’Orient dilaté, engourdi, haletant,
« Tressaille dans mes bras, cadavre palpitant !

« Parfois, sous le climat brumeux des cathédrales,
« Je semble m’assoupir pendant vos longs hivers,
« Mais je jaillis soudain, éparse et triomphale,
« Du cri d’un maigre oiseau sur un églantier vert !

« En vain les repentants, les rêveurs, les ascètes
« S’enferment au désert comme des emmurés,
« Je m’attache à leur plaie ardente et satisfaite,
« Car je suis la douleur, plaisir transfiguré !

« Lorsque devant l’autel flamboyant, les mystiques
« Essayent d’écarter mon fantôme jaloux,
« Je fais pleuvoir sur eux l’orage des musiques
« Qui trompe leur prudence, et dit : “Je vous absous.”

« Je mens quand je me tais, je mens quand je protège,
« Partout où sont des corps, partout où sont des cœurs
« J’élance hardiment mon fourmillant cortège,
« Et le monde est empli de ma suave odeur.