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LE LIVRE DE MA VIE

croyais innocemment toute semblable à eux, par un tendre sentiment de collectivité propre à l’humble et chaleureuse enfance. Je les imaginais oppressés comme je l’étais, et je ne devinais pas que j’étais à la fois plus séparée et plus rapprochée de tous les humains et que l’immense poésie du monde m’avait choisie et pensait : « J’entrerai dans la gorge de cette enfant. » L’enfant que je fus et que, pareille en cela à tous les êtres, je suis restée, car rien n’est plus vrai que le magnifique vers de Victor Hugo, adressé par un adulte à un vieillard :

La beauté de l’enfance est de ne pas finir,

donc tout différent des autres. J’éprouvais, parmi ma société enfantine, un sentiment erroné de parité, alors même que mes parents et leurs amis m’entouraient de louanges, qui, loin de corrompre mon cœur, suscitaient en moi un amour plein de gratitude et de modestie. L’orgueil qui devait s’affirmer et m’accompagner dans la vie n’était ni fat ni envahissant, mais n’a cessé de ressembler à une prière élevée vers l’inconnu. J’étais dotée de cette sympathie envers tous les êtres dont le seul obstacle est pour moi l’inimitié chagrinante d’autrui. À chaque témoignage de tendresse qui m’était adressé, un désir suffocant de rendre au donateur un peu de son bienfait et davantage encore m’écartelait le cœur. C’est une des tragiques pauvretés de l’enfance que tout échange