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LE LIVRE DE MA VIE

lui soit interdit ; elle n’a aucun moyen d’offrir ; elle ne peut qu’être aimée ; l’immense amour dont elle-même dispose n’est pas recueilli, pas entendu. Que de pelotes à épingles confectionnées par moi, pour mon entourage protecteur, au moyen de vieux journaux dont je bourrais des lambeaux d’étoffe mal rapprochés et mal cousus ! Que d’éventails espérés, en joignant puis en déployant les plumes que les paons phosphorescents et blancs d’Amphion abandonnaient comme un branchage verdoyant ou neigeux sur le gravier du jardin ! Éventails rebelles et décevants, qui toujours retombaient à l’état d’un mince et vertical plumeau !

Dès le seuil du salon, que rendaient séduisant l’odeur de la gaie cretonne imprégnée comme un végétal d’une légère humidité, l’arôme de parquet ciré et l’effluve des mille roses débordant les vases de cristal, j’étais, je le reconnais, l’orgueil de ma famille. Mais je jugeais raisonnablement qu’on n’eût pas dû adresser à une petite fille les louanges qui m’étaient décernées publiquement. Ma mère, pour qui la musique représentait l’art suprême, ne doutait d’aucune de mes facultés. Elle entassait des volumes cartonnés de la collection « Litolff » sur le tabouret du piano, m’y faisait asseoir et annonçait que j’allais composer immédiatement des mélodies évocatrices, sur le sujet qui me serait donné. C’est ainsi que, tremblante, embarrassée, mais l’oreille tendue