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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/105

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LE LIVRE DE MA VIE

damment épanchée mes poèmes d’enfant (en me priant néanmoins de ne point m’écarter du chemin ardu, classique) avait été convié avec moi dans la bibliothèque du Collège de France illustrée par Renan, qu’occupait, après lui, le savant, le gracieux Gaston Paris, notre hôte. Je vis avec tristesse que le poète vieillissant, dont la foi avait tant défendu contre mes vœux de petite fille « la rime pour l’œil », se demandait à présent, avec la limpide anxiété qui composait tout son être, si ses efforts et ses laborieuses restrictions n’avaient point été vains ou nuisibles. Il n’était plus convaincu comme jadis que blasphémer et amer constituassent une mélodie satisfaisante, tandis que froid et effroi ne se devaient pas confronter. La querelle de l’hiatus, se rapportant à il y a et L’Iliade, l’un autorisé et l’autre interdit, perdait aussi de son importance à ses yeux azurés de fleur de bourrache qui va se fanant. Pareil, soudain, à son poignant poème stellaire sur la Grande Ourse où rêvent les pâtres de Chaldée, il douta de ce qu’il avait vénéré, et, soucieux, soumis encore. mais désormais sans joie, méditant le joug sous lequel pliaient ses moissons tardives, il « examina sa prière du soir ». Hardiment, Gaston Paris, vieil homme juvénile en qui affluait avec permanence la vie printanière, prit mon parti contre son ami, victime d’un cœur où le scrupule et l’obéissance l’avaient emporté sur la féconde témérité.