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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/113

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LE LIVRE DE MA VIE

leurs fiançailles élégantes ou contraintes, devint, dans sa brièveté, sa solitude dominatrice, un cabochon démesuré et sans fêlures, auprès de quoi pâlirent toutes les pierres taillées, lui dédiant spontanément leurs faisceaux de lueurs.

Je ne décrirai pas ici le génie de Colette ; autorisez-la à faire usage d’un dictionnaire entier, elle y creusera son gîte, produira par jaillissement et avec labeur, dit-elle, une œuvre succulente, sanguine, végétale, où tous les vocables sembleront avoir été raflés et distribués sans pourtant que nulle adjonction vienne alourdir un récit qui se réclame de la vie et de la nécessité. Ne lui accordez plus que l’emploi de quelques adjectifs, Colette les disposera d’une main si habile à construire, que le monde viendra se refléter en eux, y installer avec une loyale astuce ses opulents bagages immenses et réduits. Colette, dès qu’elle écrit, penchant sur son travail la masse légère et brève de ses cheveux d’un blond mauve, pareils à un plant de violettes de Parme, sait fonder une contrée, élever des villes, susciter la mer et le ciel variés. À l’égal du Nil déifié, elle rend fertile et vivace le feuillet aride, fait croître des récits envahissants, tentateurs et redoutables par leur active présence. Mais deux lignes d’elle dans un journal éphémère ont le pouvoir de décrire une représentation d’Hamlet ou la pyramide de stoïques et anxieux équilibristes, dont les muscles