Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

113
LE LIVRE DE MA VIE

domptés peinent sous les projecteurs aveuglant du cirque, comme dans les tableaux fameux d’un Toulouse-Lautrec et d’un Degas.

Marie de Heredia (Gérard d’Houville), dont le trio d’étoiles se posait, comme les étincelles d’une nonchalante fusée au bas des stances les plus harmonieuses, exalta mon esprit dès notre extrême jeunesse. Colette, univers concentré, scène du monde que piétinent les passions, « l’une portant son masque et l’autre son couteau », voilà les deux dryades pensives dont j’eusse voulu découvrir les secrets et les dérober. Dès que je connus l’une, et puis l’autre, je cessai d’être curieuse du laboratoire de leur génie et, sans réfléchir à ce que nous avions de pareil ou de dissemblable, je choisis de les aimer. Cependant, rien ne vaut qui ne nous vienne de l’âme. Je ne tairai pas l’énergie méritoire de mon enfantin passé. Petite fille timide et délicate, adolescente souffrante, jamais ma vaillance et mon opiniâtre amour des choses n’oubliaient que j’ai pour patrie maternelle le Taygète, le sol où le jeune Thémistocle préférait attirer sur soi la disgrâce et les châtiments dont on menaçait, dans le stade, les coureurs frémissants, que de mettre en péril sa chance et son triomphe. Aux anciens, qui réglaient avec minutie les jeux et veillaient à conserver l’ordre parmi les athlètes, Thémistocle, dont l’élan ne pouvait être contenu, répondait, dédaigneux des réprimandes : « Il est